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de la tradition biblique ; en un mot, le résumé de tout ce qui s’était écrit de plus violent, de plus décisif contre le culte établi.

Un manifeste de ce genre, chez un homme dont les opinions sont formées, et qui leur donne l’autorité du talent, petit, jusqu’à certain point, éveiller l’attention d’un gouvernement en partie fondé sur le respect d’un culte quelconque. En est-il de même lorsqu’un écolier surchargé d’une érudition malsaine, séduit par la nouveauté spécieuse et brillante de quelques théories prohibées, vient se poser, lui chétif, en face des siècles, de l’histoire et de Dieu, pour démentir et nier, sur la parole d’autrui, tout ce qu’on croit, tout ce qu’on enseigne ? Est-il juste, est-il prudent de prendre au sérieux ces équipées d’un philosophe imberbe ? Ne lui doit-on pas bien plutôt l’indulgent dédain, la pitié railleuse, le plus poignant et le plus sûr châtiment des témérités avortées, des entreprises infailliblement inutiles ? L’université d’Oxford n’en jugea point ainsi. Pour quelques pages sans portée, pour une méchante compilation qu’il était très permis de regarder comme non avenue, deux jeunes gens d’une distinction d’esprit incontestable furent expulsés d’Oxford, et jetés dans le monde avec l’orgueilleux sentiment de leur force agressive[1]. Shelley, qui, livré à lui-même, aurait sûrement désavoué plus tard cette boutade juvénile, se dit qu’on n’aurait point mis son livre à l’index si on avait pu le réfuter aisément et qu’on ne l’aurait point chassé d’Oxford, si sa présence et ses doctrines n’avaient intimidé le sénat universitaire. Cette illusion le flattait, et faillit le pousser dans la voie des prédications humanitaires. Ses griefs ne l’avaient pas converti à la misanthropie ; sa haute et bienveillante nature se refusait à rendre, comme Byron, le genre humain responsable des injustices commises par quelques hommes. Le rôle de réformateur le tentait par-dessus tous les autres. Ne voulut-il pas, un moment, monter en chaire et porter de tous côtés la parole de vie ? Il y avait alors un excellent et digne homme, — Rowland-Hill était son nom, — qui, pour répandre les doctrines du méthodisme, avait renoncé à tous les avantages du rang et de la fortune. Les auditeurs se pressaient en foule dans la chapelle où il enseignait. Shelley y fut entraîné par hasard. Le lendemain, il écrivit au pieux missionnaire pour lui demander le droit de porter la parole devant la petite congrégation. Sa lettre demeura sans réponse, et ne méritait pas mieux.

Cette démarche inconsidérée nous indique un jeune homme livré à lui-même, sans guides, sans amis sérieux, sans conseils écoutés. En effet, Shelley menait alors à Londres, et loin de son père, mortellement offensé, la vie de l’étudiant oisif. Ses journées se passaient en longues divagations, en rêveries maladives, dont il notait scrupuleusement, sur

  1. Le collaborateur, le complice de Shelley était M. Hogg.