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tout genre qui rappellent tout ce qu’on a lu des grands solitaires chrétiens, — détournées de leur mission naturelle, perverties même si l’on veut, — servent les desseins de la philosophie incrédule et révoltée. L’onction de saint Augustin, l’austère éloquence des pères, parfois la langue embrasée des apôtres, animent des conceptions étranges où viennent s’amalgamer, avec des visions dignes de Swedenborg et de Saint-Martin, les théories, les systèmes de la philosophie la plus positive. Tout prêt à croire ce que dément la raison commune, Shelley n’accepte rien de ce qu’elle sanctionne. L’idée reçue n’a pas de critique plus inflexible, l’idée nouvelle de champion plus complaisant, et cela, sans parti pris, sans affectation vaine, en toute loyauté. Rang, patrie, honneurs, richesse, amour, et jusqu’aux joies de la tendresse paternelle, Shelley renonce à tout, plutôt que de faire fléchir ses convictions devant une autorité dont il conteste les droits, dont il dénonce l’injustice, dont il nie le principe. Peu de gens ont donné de pareils gages au paradoxe. La sincérité de Shelley est donc pour nous au-dessus du doute.

Or, la sincérité, si elle ne justifie ni les doctrines, ni les actes, commande pourtant l’estime et ôte à la censure la plus légitime une grande partie de ses droits. On n’est pas tenu de fléchir devant l’erreur de bonne foi, mais il n’est pas permis de la confondre avec le mensonge délibéré. Plus d’une fois, en lisant les poèmes de Byron, il nous est arrivé de regarder comme également suspectes la valeur des opinions émises et la franchise de ces opinions. La préméditation, le calcul, la vaine gloire, la forfanterie, nous apparaissaient au fond de cette poésie limpide et belle, comme l’immonde lézard, le serpent venimeux sous le cristal des eaux immobiles. Jamais les ouvrages de Shelley ne nous ont causé cette impression pénible. En étudiant sa vie, nous nous sommes expliqué cette différence.

Il naquit, en 1792, dans le comté de Sussex. Son père, dont l’intraitable sévérité provoqua de bonne heure la résistance à laquelle Shelley devait vouer sa vie, ne comprit pas qu’une organisation si fine et si impressionnable demandait des soins particuliers. L’enfant avait à peine dix ans qu’on le jeta dans une école, pêle-mêle avec des compagnons indignes de lui. Ce fut là son premier malheur. Il passait brusquement d’une liberté presque absolue, d’une vie en plein air, de mille habitudes féminines contractées au milieu de ses jeunes sœurs, dans une étroite enceinte où ses chers rêves, passereaux captifs, donnaient de l’aile à tous les barreaux de leur cage. Il y était harcelé par des maîtres qui ne le comprenaient pas, maltraité par ses condisciples, que sa faiblesse physique et son humeur bizarre excitaient à le tourmenter. À ce métier de victime, Shelley devint presque fou. Dès-lors, cependant, on put remarquer en lui une supériorité d’intelligence qui eût infailliblement