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croit à aucune chose née ou à naître, en quoi il agit comme celui qui a expérimenté la vie. » Quelques efforts qu’il fasse pour se convaincre lui-même et convaincre les autres que l’être mortel n’est pas le jouet du hasard, qu’il a un but à poursuivre, que le devoir social est digne qu’on s’y attache, que tout n’est point hypocrisie on calcul dans les sentimens humains, dans le dévouement et dans l’amour, de quelque lucidité merveilleuse qu’il jouisse par momens, lorsqu’il s’arrête pour regarder autour de lui, il cède au penchant chaque jour plus fort qui l’entraîne ; chaque pas qu’il fait en avant dans cette voie est sans retour. La méchanceté éternelle de l’homme devient la seule chose certaine pour lui ; le mal, c’est la vérité sur cette terre ; le bien, c’est l’illusion, dira-t-il. L’excès du doute étouffe la pitié et produit un mépris suprême. Nous n’imaginons rien, nous ne faisons qu’emprunter aux essais de Larra les traits personnels et épars qui le caractérisent. La nature et l’habitude des voyages, qui ne laisse à aucune affection le temps de se former, ont fait de lui l’être le plus rempli d’envies et le plus inconstant qui soit au monde. Il n’est pas de lieu qui puisse lui plaire et le fixer pendant tout un mois ; il n’est point d’amitié qui garde son prix au-delà d’une semaine à ses yeux. S’il pardonne à la vie sa longueur, c’est parce que seule elle offre le moyen de changer ; la mort, en effet, est le terme de toutes les inconstances. La beauté la plus charmante aura pour lui ses momens de repoussante laideur, et il n’est pas d’effroyable mégère qui ne l’enchante une fois au moins. Cette inquiétude innée communique parfois à ses actions quelque chose de fiévreux, de nerveux, de provoquant. L’ennui s’empare de lui, et il n’a d’autre ressource alors que d’errer sans but au milieu de la foule. Un sourire amer d’indifférence se promène sur ses lèvres ; il porte un lorgnon avec lui, non pour y voir mieux, mais afin de pouvoir regarder fixement ce qui le choque, car celui qui a la vue courte a le droit d’être impertinent. Il ne salue ni amis ni connaissances, parce que ce serait prendre lui-même un rôle dans cette comédie dont il prétend être seulement le spectateur. Étrange effet de l’ennui ! il reçoit insensible toutes les impressions ; dans des jours pareils, il n’y a pour lui, dit-il, ni belles, ni laides femmes, ni amour, ni haine. C’est la plénitude du dégoût. Larra n’avait qu’à consulter ses propres souvenirs lorsqu’il écrivait dans son morceau sur la Satire : « L’écrivain satirique est, comme la lune, un corps opaque destiné à refléter la lumière, et c’est le seul peut-être dont on puisse dire qu’il donne ce qu’il n’a pas. Ce don naturel de voir le vilain côté des choses plutôt que le beau est ordinairement son tourment. Son attention se porte sur les taches du soleil plutôt que sur sa lumière, et ses yeux, véritables microscopes, aperçoivent le vide exagéré des pores et les inégalités extérieures dans une Vénus où les autres ne voient que la perfection des formes et la beauté des contours.