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qu’est tout être abject, le valet, l’esclave, celui-là, en un mot, qui ne lira et ne saura jamais ce qu’on dit de lui. Il ne raisonne pas, il ne se livre pas à un travail intelligent, il sert et voilà tout. Sans hommes-solides il n’y aurait pas de tyrans, et, comme ceux-là sont éternels, il n’est pas probable que ceux-ci aient une fin. C’est la multitude immense qu’on appelle peuple, qu’on trompe, qu’on foule aux pieds, et sur laquelle on s’élève. Elle vit à la peine, elle sue, elle souffre. Quelquefois elle s’agite d’une façon terrible, comme le sol quand il tremble. On dit alors qu’elle ouvre les yeux, et il n’en est rien. Autant il vaudrait appeler les yeux de la terre ces crevasses monstrueuses que produit un volcan… - L’homme-liquide fuit, court, change de position, se précipite pour remplir tous les vides. Il a déjà un degré plus élevé de calorique. Il serpente continuellement autour de l’homme-solide, l’entoure ; le pénètre, l’enveloppe, le noie… Dans les momens de révolution, s’il est un instant repoussé, il s’élance bientôt hors de son cours et accroît sa propre force de celle des masses aveugles qu’il entraîne avec lui… Plein de prétentions, il fait du bruit, défie le ciel, a quelque chose comme une voix et trouve un écho. C’est là une différence essentielle entre le solide et le liquide, à notre sens. La pierre ne produit une rumeur sourde que lorsqu’on la fait rouler ; l’eau murmure par cela seul qu’elle existe et qu’elle coule. Il en est de même de la classe moyenne de l’humanité, d’où s’élève un bruissement continuel. Le coup qu’on donne sur un corps solide enlève un morceau ; si on frappe le liquide, il en résulte des ondulations et un mouvement qui se prolonge. Ajoutez encore cette observation : le coup qui atteint le peuple n’est préjudiciable qu’à lui ; le coup qui atteint la classe moyenne éclabousse d’habitude celui qui le donne… »


On peut discerner ce qu’il y a de vrai et de paradoxal dans ces développemens bizarres dont la saveur originale se perd, nous le sentons, dans une traduction imparfaite. Quant à l’homme-gaz, c’est celui qui se fraie un chemin dans l’air, qui met un pied sur l’homme-solide, un autre sur l’homme-liquide, et, prenant son essor, dit à tous : Je commande et je n’obéis pas ! Enfermez ce gaz dans une enveloppe qui en contienne une quantité suffisante, vous aurez l’homme-ballon. Quelquefois c’est le génie dominateur et glorieux qui voyage au-dessus de la face du monde étonné. En Espagne, Larra n’y peut voir que le symbole de l’individualisme effréné et ambitieux qui s’élève par le hasard, en vertu d’un effort violent et mal réglé, flotte sans direction et retombe bientôt, au moindre vent, forcé de recourir au vulgaire parachute. Dans les contrastes de cette pensée, qui se colore tantôt de poésie et tantôt s’abandonne aux plus fières audaces du caprice ironique, il est aisé de remarquer ce qui met surtout l’auteur de l’Hombre-Globo à part des pamphlétaires. La politique, à vrai dire, n’est point un but pour lui, et ce ne serait pas trop même de se demander s’il a un but quelconque, autre que le plaisir amer de l’observation. La politique n a qu’un intérêt à ses yeux, celui d’être une des manifestations de l’activité humaine, un champ nouveau où il peut plus à l’aise embrasser