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partis ne peuvent échapper à son regard pénétrant. Les excentricités de sa verve ont quelque chose de grave, parce qu’elles touchent toujours à quelque côté délicat et saignant de ce grand corps malade qu’on nomme la Péninsule, parce qu’elles procèdent d’une vue juste et profonde des fréquens contre-sens de la politique, du développement factice et déréglé des opinions, des infirmités morales qui se dissimulent sous l’appareil de l’activité extérieure, des instincts rétrogrades qui se cachent encore sous les prétentions à la nouveauté. Quand Larra dit dans la glorieuse histoire des hauts faits de la junte de Castel-o-Branco : « Il n’est rien comme une junte… il se peut qu’on n’y fasse rien et qu’on n’ait rien à y faire, rien n’est plus nécessaire pourtant. Aussitôt que naît un parti, on le met en junte comme on le mettrait en nourrice, et il n’a pas ouvert les yeux à la lumière qu’il y est déjà, ce qui n’est pas un médiocre avantage. Les juntes sont les précurseurs des partis ordinairement, et elles sont toujours en chemin interceptant ou interceptées, quand elles ne sont pas hors du royaume prenant l’air… car il faut qu’elles prennent un peu de tout… ; » - lorsque l’écrivain espagnol, disons-nous, trace cette satirique esquisse, ce n’est pas seulement l’absolutisme qu’il atteint, c’est toute la révolution qui a si souvent offert le spectacle de ces imprudens appels aux sentimens du passé, à l’ombre des antiques juntes ; c’est ce vieil et aveugle esprit d’indépendance locale, de révolte individuelle, qui n’est plus aujourd’hui qu’un symptôme de décomposition, une des formes de l’anarchie. Quand les partis prennent des noms arbitraires que démentent leurs actions et s’amusent à créer une Espagne imaginaire où les systèmes politiques sont en présence, où toutes les idées constitutionnelles pourraient se produire dans un cercle de régulières évolutions, c’est là une vérité superficielle qui ne saurait satisfaire Larra. Il voit autre chose autour de lui ; il distingue trois peuples divers : « une multitude indifférente, abrutie, morte pour long-temps, qui, n’ayant point de nécessités, manque de stimulans, parce que, accoutumée à plier sous des influences supérieures, elle ne se meut pas par elle-même, mais se laisse mouvoir ; — une classe moyenne qui s’éclaire lentement… qui voit la lumière, l’aime, mais, comme un enfant, ne sait pas calculer la distance qui l’en sépare, qui croit les objets plus rapprochés parce qu’elle les désire, étend la main pour s’en emparer, mais ne sait ni se rendre maîtresse de ce rayon qui l’a frappée, ni même en quoi consiste ce phénomène ; — enfin une classe privilégiée, peu nombreuse, victime ou fille des émigrations, qui se croit seule en Espagne et s’étonne à chaque pas de se voir en avant des autres, beau cheval normand qui se figure être attelé à une voiture légère, et qui, ayant à traîner un char pesant, s’élance, rompt les traits et part seul… » De cette radicale différence de caractère et d’état entre des populations qui vivent côte à côte plutôt qu’elles ne