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accablé par le dénûment, fatigué par la solitude, mais ne laissant point s’éteindre la flamme de son génie satirique. C’est dans la captivité, retenu au couvent de San-Marcos de Leon, que, peu avant sa mort, il écrivait, avec une tristesse calme et fière encore dans sa résignation, à Olivarès : « Il ne me manque pour être mort qu’un tombeau, lieu de repos de ceux qui ne sont plus. J’ai tout perdu ; ma fortune, qui jamais ne fut grande, aujourd’hui est nulle et a servi à payer les frais de ma prison. Mes amis ! l’adversité les intimide ; il ne me reste que la confiance en votre excellence. La clémence, au reste, ne saurait me donner beaucoup d’années, pas plus que la rigueur ne pourrait m’en retirer maintenant… » Ajoutons comme un dernier trait cette parole que la lassitude inspirait à Quevedo à la fin de ses jours : « Je ne trouve en cette vie aucune chose où poser les yeux sans me souvenir aussitôt de la mort. » Ce personnage, dont la destinée fut le jouet de tant d’épreuves, qui résume dans ses écrits la fantaisie humoristique espagnole et qui n’a point eu d’héritier jusqu’à notre temps au-delà des Pyrénées, — Larra, poussé par un instinct naturel, avait songé à le faire revivre dans un drame dont il n’est resté que des fragmens inédits. Le satirique nouveau s’était laissé séduire par une erreur commune à tous ceux qui ont l’idée malheureuse de prendre pour héros des écrivains fameux, des hommes tels que Shakespeare, Molière. A quelle alternative s’expose-t-on en effet ? Replacera-t-on ces grands poètes au sein de leur siècle, au milieu du monde dont leurs ouvrages sont le glorieux reflet, en présence des spectacles de tout genre qui ont frappé leur ame et qu’ils ont reproduits ? Ce sera tenter de refaire artificiellement ce qu’ils ont fait avec la naïve spontanéité de leur génie ; on calquera inutilement les tours de leur pensée et les formes de leur langage. Ne prendra-t-on que leur nom, au contraire, en changeant les conditions dans lesquelles ils ont vécu, en bouleversant les perspectives morales, en cherchant à donner à leur figure l’originalité d’un point de vue plus nouveau, en suppléant à la vérité par l’invention poétique ? On créera ces choquantes dissonances qui passent quelquefois sous nos yeux. Nous verrons Molière et Bossuet dansant la sarabande dans un drame et récitant des élégies ou des satires modernes. Quant à Larra, il avait mieux à faire qu’à se livrer à ce passe-temps prétentieux ou puéril à l’égard de son devancier ; il avait à être lui-même le Quevedo de son temps en Espagne.

C’est là le mérite essentiel de Larra et le vrai signe de son génie, d’être l’humoriste de son siècle et de son pays, de réunir cette ardeur d’inspiration, cette puissance d’analyse, cette souplesse ingénieuse et féconde, cette insouciance des formes ordinaires de l’art qui sont les qualités générales de l’humour et cet instinct de la réalité qui est particulièrement propre à l’ironie espagnole. Véritable penseur moderne,