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des autres ont pour elles l’intime saveur, le génie de la variété, toutes les bonnes fortunes d’une verve ardente et périlleuse. Le passé le plus lointain lui-même a plus d’un écrivain de ce genre. Horace, le philosophe pratique, le sceptique conseiller de tous les âges, du jeune homme et du vieillard, n’est-il pas un humoriste dans l’antiquité latine ? Voyez, en effet, ce poète « blanchi avant le temps ; jouissant avec délices du soleil, aussi facile à s’enflammer qu’à s’apaiser, » comme il le dit lui-même ; voyez-le sur la Voie Sacrée, poursuivant je ne sais quelle chimère que nul n’aperçoit et pour lui seul visible, songeant peut-être à cette délicieuse et éternelle contradiction de l’amour qu’il sut si bien surprendre, et qu’il a décrite avec tant de charme dans le donec gratus eram, ou répétant tout bas ce chant d’une douce mélancolie sur la fuite des ans : « Hélas ! hélas ! les années rapides s’en vont ;… » ou bien encore cherchant des traits pour peindre sa propre inconstance et l’inconstance des autres : n’est-ce pas le mouvement libre et actif d’une pensée mal contenue par la sévérité de la discipline romaine ? Dans l’antiquité grecque et à un autre point de vue, l’auteur des Oiseaux et des Guêpes, dont la raillerie s’assouplit à tous les tons, depuis le lyrisme jusqu’à la bouffonnerie la plus grotesque, est aussi un de ces talens rares qui aiment à se jouer en mille caprices d’invention, sous lesquels se déguise la connaissance de la nature humaine et des mœurs. On y pourrait joindre Lucien, dont le sarcasme hardi accompagne le convoi des dieux mourans, et qui arrive parfois, dans quelques fragmens tels que le Deuil, à trouver des accens presque éloquens par la vigueur avec laquelle il évoque les tristesses mensongères. Nous ne voulons noter qu’une différence essentielle entre ces écrivains, qu’on peut regarder comme les humoristes d’autrefois, et ceux qui viennent plus tard dans l’histoire littéraire : c’est que plus la civilisation va en avançant, plus l’observation se fait subtile, pénétrante et amère ; plus la sensibilité s’empreint d’énergie, plus le fonds de scepticisme qui s’agite dans la plupart de ces esprits devient douloureux. Le plus grand exemple, celui que rien n’égale, c’est Shakespeare, du haut de son ironie dominatrice jugeant, par la bouche de Hamlet, les révolutions de la mort, pesant dans sa main les restes du pauvre Yorick, cette misérable poussière d’un fou qui ne tient pas moins de place que celle d’Alexandre, et à laquelle va se mêler tout à l’heure, pour dernier contraste, la poussière d’une jeune fille, d’Ophelia morte d’amour. Grace poétique et amertume superbe, éclat et profondeur, tout est là ; c’est le type suprême qui se reproduit avec mille nuances dans la famille des humoristes. L’Espagne contemporaine, au milieu d’une rénovation intellectuelle pleine d’écueils et féconde en pâles essais, a eu, dans Larra, un homme digne de figurer parmi ces penseurs capricieux et ingénus, un de ces satiriques dont l’inspiration souple et ardente fuit