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de la troupe, dans son habillement de tous les jours, se produit avec une familiarité qui vous surprend sans vous inquiéter ? Après un pas de ballet, la comédie commence, et c’est ce même acteur, maintenant en costume de théâtre, qui ouvre la scène ; mais, dès les premiers mots, vous apprenez que l’auteur comédien ne s’est pas placé dans un monde imaginaire, éloigné, héroïque ou trivial ; il est en effet un personnage de même pays, de même condition que ceux qui le regardent, marquis vraiment comme le mieux empanaché qu’il y ait là devant lui :

« Ah ! marquis, m’a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu ? souffre que je t’embrasse. »


Et les « fâcheux, » qu’il va passer en revue, sont tous ou de cette qualité on ayant affaire à de telles gens. Ainsi voilà déjà et tout d’abord la scène de niveau avec l’amphithéâtre ; ici et là les mêmes hommes, les mêmes canons, les mêmes plumes, les mêmes postures, excepté que, du côté où le ridicule a été copié, on se tait, on écoute, et que, là où il figure imité, on parle, on agit, on fait rire. La comédie se soutient ainsi pendant trois actes attachée à une intrigue fort légère, mais toujours sans déroger et dans la sphère la plus haute des travers de bonne compagnie : marquis éventé, marquis compositeur, vicomte bretteur, courtisan joueur, belles dames précieuses, solliciteurs à la suite des grands, colporteurs de projets, amis importuns ; et, parmi tout cela, toujours le nom du roi ramené avec art, d’une manière respectueuse et sans bassesse. Voilà ce qu’il est impossible de ne pas voir aujourd’hui encore, si loin que nous soyons des choses et des mœurs, dans la comédie des Fâcheux. La Fontaine, qui assistait à cette fête, écrivait peu de jours après à son ami Maucroix, en lui parlant de Molière « C’est mon homme, » et nous sommes sûr, sans l’avoir entendu, que Louis XIV en dit autant.

Tout le monde sait qu’après la représentation de la comédie le roi, en félicitant l’auteur, lui indiqua un personnage de fâcheux qu’il avait oublié, celui du courtisan chasseur, et il paraît assez certain que l’original de ce caractère était le marquis de Soyecourt ; mais, pour l’exactitude complète, il ne faut pas lui donner ici le titre de grand-veneur. Il obtint, en 1669, cette charge, pour laquelle il pouvait dès long-temps avoir de la vocation ; en 1664, il était depuis huit ans, et resta huit ans encore, maître de la garde-robe. Quoique le ridicule qui lui est attribué par cette anecdote fit assurément la moindre partie de sa réputation, on en trouve pourtant l’indice dans une lettre du duc de Saint-Aignan au comte de Bussy-Rabutin (18 janvier 1671), où il lui offre ses services « Découplez-moi, lui dit-il, lorsque vous jugerez que je doive courir. Pardon de la comparaison ; mais, pour mes péchés, j’ai passé une partie de la journée avec le grand-veneur. » Ce qui est moins vrai, c’est que le rôle de la naïade qui récitait le prologue ait été confié à la jeune Armande Béjart. « La Béjart, » dont tous les témoins parlent comme d’une actrice parfaitement connue, était une nymphe de quarante-trois ans, comme il s’en conserve toujours trop sur les théâtres. C’était cette même Madeleine à laquelle Molière s’était attaché en 1645, et qui était revenue avec lui de la province.

Peu de jours après, les Fâcheux furent joués une seconde fois à Fontainebleau,