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ceux qui s’appellent eux-mêmes les hommes d’action. Les hommes de conseil, de leur côté, aimeraient mieux que la mission de refaire le pacte fût confiée à une autre diète ; ils voudraient être plus loin des influences de la lutte et de l’ivresse de la victoire. Les cantons radicaux eux-mêmes ne sont pas disposés à abdiquer au profit de Berne cette égalité de représentation qui est la sauvegarde de leur souveraineté individuelle, et déjà nous voyons les organes du radicalisme de Zurich protester à l’avance contre les réformes qui changeraient les bases du pacte actuel. La lutte ne tardera pas à s’établir entre ces deux influences ; en attendant, le parti des hommes d’action se fortifie par l’accession des députations nouvelles des cantons conquis.

Tout n’est donc pas terminé, ni pour la Suisse ni pour l’Europe. Il reste à voir jusqu’à quel point la Suisse croira devoir modifier la forme sous laquelle elle a été non-seulement reconnue, mais constituée par l’Europe, et s’il lui convient de changer ses relations vis-à-vis des autres puissances. Les traités ont garanti certains privilèges, comme ceux de la neutralité et de l’inviolabilité, à la confédération helvétique constituée d’une certaine façon. Sans doute, ces garanties ont été accordées à la Suisse dans son propre intérêt ; mais elles ont été stipulées aussi, comme le dit l’acte de reconnaissance, « dans le véritable intérêt de tous les états européens, » et le jour où la Suisse porterait elle-même atteinte aux traités qui la protègent, les puissances qui y avaient participé pourraient se considérer à leur tour comme libres de leurs engagemens.

Il est probable que des avis de cette nature pourront être mis sous les yeux de la diète sans qu’il soit nécessaire d’établir à Neufchâtel une conférence régulière, comme il avait d’abord été convenu. Les plénipotentiaires nommés par la cour d’Autriche et par la cour de Berlin pour prendre part à cette conférence, le comte de Colloredo et le général Radowitz, ont poursuivi leur voyage jusqu’à Paris, où ils sont actuellement. Nous croyons qu’un nouveau projet de note identique à remettre à la diète sera proposé par M. Guizot aux quatre cours ; nous y comprenons celle de la Grande-Bretagne.

Assurément, on ne peut qu’approuver M. Guizot de ne rien négliger pour essayer d’établir l’unanimité dans les conseils des grandes puissances, et, sous ce rapport, il agira sagement en offrant au gouvernement anglais de concourir aux démarches qui pourraient être faites de concert avec les cours continentales. Toutefois il est bon que ces efforts ne soient pas indéfiniment prolongés, et il ne faut pas permettre que le mauvais vouloir évident d’une seule puissance entrave de nouveau l’action de toutes les autres. Les chambres auront sans doute bientôt sous les yeux tous les élémens nécessaires pour éclairer les négociations qui avaient abouti à la proposition d’une médiation commune ; nous croyons qu’il en ressortira pour tout le monde la conviction que le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne n’a pas joué, dans toute cette affaire, un rôle bien franc, et qu’il ne s’en est mêlé que pour en entraver la marche et pour y susciter des obstacles. Lord Palmerston a jusqu’à un certain point réussi, puisque l’offre de médiation des cinq puissances est arrivée trop tard pour avoir son effet ; mais un tel succès n’est pas de ceux dont on puisse se faire beaucoup d’honneur. Dans tous les cas, nous ne croyons pas que M. Guizot se repente, ni qu’il cherche même à se défendre d’avoir fait tous les efforts qui étaient en son pouvoir pour faire entrer l’Angleterre dans le concert commun, et d’en avoir même