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Je repousse donc les incompatibilités absolues, mais je souhaite ardemment voir admettre les incompatibilités relatives.

A mon avis, un fonctionnaire public ne devrait pas pouvoir être élu dans son ressort.

Un administrateur dans un ministère ne devrait pas pouvoir être député.

Voilà les deux catégories d’incompatibilités auxquelles nous pourrions nous arrêter sans danger. J’excepte de cette exclusion les fonctions politiques.

Dans le premier cas, ou l’élection cesse d’être libre, si le candidat se sert de son autorité de fonctionnaire public pour intimider ou contraindre les électeurs, ou elle se fait sans dignité et sans probité de la part du fonctionnaire, s’il est réduit à des sollicitations trop pressantes, s’il transige avec ses devoirs et sacrifie les intérêts de l’état à ses intérêts électoraux.

Dans le second cas, le lieu de la scène change : il ne s’agit plus du candidat, mais du député en exercice. Tous les raisonnemens du monde les plus habiles ne me feront jamais regarder comme tenable la position d’un membre de la chambre remplissant un emploi dans un ministère. — Entendons-nous, — à moins qu’il ne soit nettement établi que sa place est une place politique. Si la solidarité est complète, si la position se prend et se quitte avec le ministère, rien de plus simple, rien même de moins attaquable à mes yeux. Que l’on crée telles places que l’on voudra, — sous-secrétaires d’état, directeurs-généraux, — qu’on les donne à des hommes politiques honorés de les occuper, décidés à défendre les ministres et à tomber avec eux : c’est un système vraiment politique, digne, avouable.

Mais permettre qu’un député demeure commis appointé, soutien inamovible de tous les ministères, de tous les systèmes, de toutes les politiques, c’est abaisser à la fois la députation et l’administration, et, dans le cas d’un dissentiment, compromettre gravement le pouvoir.

Si, député, vous votez avec soumission pour conserver votre place, vous n’êtes plus un homme politique. — Quittez la chambre.

Si, administrateur, vous combattez l’administration au sein de laquelle vous êtes, qui vous confie tous ses secrets, vous aurez beau vous retrancher dans votre indépendance, moi, j’estime que c’est trahir le gouvernement qui vous paie pour le servir et le défendre. — Renoncez à votre fonction.

Sur ce point, je ne trouve pas d’accommodement possible. Cette situation équivoque m’a toujours choqué. Je ne comprends pas que la chambre, par respect pour ses membres, que les ministres, par respect pour eux-mêmes, l’aient aussi long-temps tolérée.