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démêler avec l’école du Pérugin ; il relève directement de Léonard et de Masaccio. Le souvenir de Michel-Ange n’est pas étranger à l’exécution du personnage principal ; cependant Raphaël, en peignant cette figure, paraît avoir consulté la nature plus souvent que le carton de la guerre de Pise. Au lieu d’étaler avec pompe ses connaissances anatomiques, il s’est efforcé de simplifier les détails que l’étude lui avait révélés. Quant à l’expression des têtes, on ne peut rien imaginer de plus admirable, de plus vrai. Jamais la douleur ne s’est montrée avec plus de grandeur, avec plus d’évidence. Tous les traits du visage concourent à la manifestation du sentiment qui domine les personnages. L’affliction de saint Jean, de la Vierge et des saintes femmes, est rendue avec une vivacité dont l’histoire de la peinture offre peu d’exemples. Sans le secours de Léonard, il est probable que Raphaël n’eût pas trouvé à vingt-cinq ans les têtes si profondément désolées du Christ au tombeau ; c’est une composition vraiment pathétique où le sentiment religieux est traduit avec une incomparable habileté.

Raphaël venait d’écrire au duc d’Urbin pour le prier de le recommander au gonfalonier de Florence, et d’obtenir pour lui la décoration d’une salle du palais de la république, lorsqu’il reçut une lettre de Bramante qui l’appelait à Rome. Jules II avait résolu d’orner de peintures murales plusieurs chambres du Vatican, et Bramante, oncle de Raphaël, chargé, dans le palais pontifical, des travaux d’architecture, avait saisi avec empressement l’occasion de mettre en pleine lumière le talent de son neveu. La lettre de Raphaël au duc d’Urbin et la lettre de Bramante à Raphaël sont de 1508. Nous avons vu par quelles études laborieuses Raphaël s’était préparé à l’accomplissement des œuvres les plus difficiles ; sans posséder le savoir du Vinci et du Buonarroti, il était cependant en mesure d’aborder les entreprises les plus importantes. Sans attendre la réponse du duc d’Urbin, sans achever un tableau commencé pour une église de Florence, il partit le cœur plein de joie et d’espérance. Malgré la recommandation de Bramante, qui répondait de son neveu, Jules II, dont la volonté ne savait pas attendre, avait déjà distribué la plus grande partie des travaux à peine conçus dans sa pensée. Toutefois, sans s’effrayer du nombre et de la renommée des rivaux qu’il trouvait sur sa route, Raphaël se mit à l’œuvre et commença sur-le-champ la décoration d’une salle du Vatican appelée Salle de la signature. La première composition qu’il entreprit fut la Théologie, connue généralement sous le nom de Dispute du Saint-Sacrement. Quoique plusieurs parties de cette vaste composition rappellent les premières études de l’auteur, quoique Raphaël, suivant les traditions de son premier maître, y ait employé l’or, dont plus tard il s’interdit l’usage, on ne saurait nier pourtant que la Théologie ne signale glorieusement le commencement d’une troisième manière,