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importance secondaire à la beauté de la forme pour se préoccuper exclusivement du sentiment religieux. De ces deux maîtres, le premier, malgré la fécondité de son génie, n’avait pu deviner la science qui était encore à créer ; le second, pour qui la peinture était avant tout un moyen de se sanctifier, de glorifier Dieu, s’interdisait le culte de la beauté comme une distraction profane. En imitant leur style, Raphaël n’aurait pu que retourner en arrière, et il avait trop de finesse et de pénétration pour commettre une pareille méprise. Il n’est pas douteux qu’il n’ait étudié Giotto et Fra Angelico, mais ce n’était pour lui qu’une étude de curiosité, d’érudition ; il comprenait trop bien l’importance, la nécessité du progrès pour ramener la peinture adolescente au bégaiement du premier âge. Tous les hommes doués d’une véritable force, tous les artistes qui ont une pensée à exprimer dédaignent comme stérile le culte du passé. Ce culte ne peut séduire que les esprits impuissans. Croire que le passé est d’autant plus digne d’étude, d’autant plus digne d’imitation, qu’il est plus loin de nous, est un pur enfantillage. Il faut choisir dans le passé les époques vraiment fécondes, les époques où l’art, en possession d’une langue claire et complète, exprimait nettement sa pensée, et cette langue, dès qu’on en possède tous les secrets, on doit s’en servir pour exprimer des idées nouvelles.

Si l’on veut avoir une idée complète de la première manière de Raphaël, il suffit d’étudier le Mariage de la Vierge, placé aujourd’hui dans la galerie de Brera, à Milan. Cet ouvrage résume, en effet, toute la science que l’auteur avait acquise avant de voir Florence. Quoiqu’il rappelle une composition du Pérugin sur le même sujet, il est certain cependant qu’il révèle une véritable originalité. Si la disposition des figures relève plutôt de la mémoire que de l’imagination, si les traditions de l’école y sont encore respectées, la grace idéale des figures, le choix des draperies, appartiennent à Raphaël, et l’on chercherait vainement dans la série entière des œuvres du Pérugin quelque chose qui se puisse comparer à ce précieux tableau. La figure de la Vierge offre un type de beauté que le maître du Sanzio n’a jamais égalé. Harmonie des lignes, suavité des contours, pudeur, modestie, rêverie angélique, fraîcheur du coloris, tout se trouve réuni dans cette Vierge divine. Il y a maintenant près de trois siècles et demi qu’elle est sortie des mains de Raphaël, et il semble qu’elle ait été achevée hier seulement. Les couleurs ont été si habilement choisies et combinées avec tant d’art et de bonheur, que la peinture a défié les injures du temps et garde une immortelle jeunesse. Sans doute il est facile de découvrir dans cette adorable figure, pour peu qu’on l’étudie attentivement, plusieurs détails qui manquent de naturel et de vie. Les mains, traitées avec un soin remarquable, n’ont pas toute la souplesse qu’on pourrait souhaiter. Les doigts sont d’une rare élégance ; mais, depuis la naissance des