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point devant le danger de donner à leurs ennemis des preuves, et à leurs concitoyens des exemples de patriotisme. Membres de l’assemblée dite nationale que la Russie avait consultée sur l’organisation du pays, ils avaient d’abord parlé avec indépendance, et ils avaient ensuite refusé leur signature à cette constitution dérisoire. Ils s’appelaient Campiniano, Balatchiano, Buzoiano. Ils n’étaient que trois dans l’assemblée, mais ils représentaient les instincts et la pensée de la nation entière, et ils trouvaient un écho si naturel et si fort dans le cœur de la jeunesse lettrée, que, dans un élan d’enthousiasme auquel se mêlait quelque enjouement, un poète proposait de les canoniser tous trois[1].

Michel Stourdza avait obtenu l’hospodarat de Moldavie, Alexandre Ghika celui de Valachie. Autour d’eux, les Fanariotes s’agitaient à la recherche des fonctions publiques. Pour combattre une civilisation naissante et les élans d’un patriotisme rajeuni, ils n’avaient songé d’abord qu’à remettre en vigueur le vieux système à l’aide duquel leurs aïeux avaient un instant réussi à étouffer la vie nationale chez les peuples roumains ; mais la tâche était plus difficile qu’ils ne se l’étaient imaginé. Michel Stourdza, que l’on ne saurait, sans excès de complaisance, appeler patriote, était du moins doué de mille ressources ingénieuses puisées dans son caractère et merveilleusement perfectionnées au contact, en ce point fort instructif, des Grecs et des Russes. Il avait en outre le sentiment de sa supériorité politique et l’intention de prendre son pouvoir au sérieux. Lors donc qu’il eut reconnu que les Fanariotes aspiraient à le dominer, il comprit fort à propos qu’il aurait besoin de s’appuyer quelquefois sur le parti national. Sans entrer en lutte ouverte avec le Fanar et la Russie et sans se déclarer précisément pour le roumanisme et le parti national, le prince Stourdza, quoique retenu dans les voies souterraines de la ruse par sa volonté tortueuse, sut toutefois porter ainsi de rudes coups aux grandes familles fanariotes. Il osa même, à plusieurs reprises, faire appel aux souvenirs de la race roumaine et des anciens héros des Moldaves. Le pays ne croyait guère à la sincérité de ces belles paroles, mais l’orgueil national ne lui permettait pas de les écouter avec indifférence. Enfin, s’il eût été difficile de citer de grandes preuves du dévouement de l’hospodar à la nationalité, on lui savait gré pourtant de tout le mal qu’il ne faisait pas, et bien qu’on lui reprochât d’impitoyables déprédations, on l’acceptait du moins comme le meilleur des princes qui eussent pu venir de la main de la Russie. La diplomatie russe s’était donc trompée à demi en Moldavie.

Le prince Ghika n’était point un ennemi des patriotes : il n’avait ni les vices ni les instincts cupides du prince moldave ; mais, en Valachie,

  1. Le métropolitain de Bucharest, Grégoire, eût aussi protesté ; mais on connaissait ses sentimens, on l’avait exilé par précaution.