Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

national. Ce pouvoir n’était pas encore électif comme aux temps de l’indépendance et n’amenait pas à sa suite la vieille constitution roumaine ; mais on devait songer bientôt à élargir cette étroite base du nouvel ordre de choses dans les proportions de l’ambition nationale, qui était redevenue très vaste. Il existait pour le moment un intérêt dont la satisfaction semblait à chacun beaucoup plus urgente qu’un changement de constitution. Il s’agissait d’expulser tous les Grecs à la suite de leurs princes, et de leur enlever tout pied à terre, tout droit de séjour par où ils pourraient se réintroduire frauduleusement dans les principautés. Les monastères grecs du mont Athos et du saint-sépulcre possédaient précisément, en Moldavie et en Valachie, des fondations pieuses d’où ils tiraient d’immenses revenus, fruit douloureux du travail des esclaves zingares et des paysans roumains. Or, ces opulens foyers des vertus inutiles et des vices dégradans, ces enclaves qui aspiraient une partie de la richesse publique et privée pour la rendre aux moines de l’Hellade ou de la Palestine, étaient aussi des sortes de forteresses dans lesquelles le système du Fanar avait un refuge assuré, et d’où il pouvait encore agiter et gouverner par ses intrigues l’église roumaine. Toutes les fois que la colère des Roumains était tombée sur les Grecs depuis les commencemens de leur querelle antique, les abbés ou igoumènes grecs avaient été chassés. L’opinion publique victorieuse demandait avec une ardeur nouvelle que l’église moldo-valaque rejetât définitivement de son sein ces ennemis nés de la nationalité roumaine et que ces monastères, cessant d’être des succursales du Fanar, fussent à jamais replacés sur le pied des monastères nationaux. Les Grecs durent donc disparaître de nouveau de toute la surface des principautés, et le roumanisme, du moins pour quelque temps, n’eut plus d’ennemis à son foyer.

Quoique les ressources des deux princes fussent limitées par l’épuisement des populations et par l’étendue des maux du pays, bien qu’ils ne pussent s’affranchir entièrement des traditions fanariotes qui avaient envahi les lois et l’administration, ils restèrent néanmoins fidèles à la pensée nationale et fient ce qui était possible, au milieu de tant d’obstacles, pour préparer une réforme générale de la constitution. La société roumaine sortait comme d’un naufrage en chantant les Plaintes de la Romanie, et principalement la partie de ce poème dans laquelle les Fanariotes sont poursuivis d’imprécations énergiques[1]. Elle faisait un accueil non moins chaleureux à la Sanglante Tragédie dans laquelle e le entendait de la bouche d’un témoin oculaire[2] le récit passionné

  1. L’auteur des Plaintes de la Romane est M. Paris Mumulèno.
  2. L’auteur du récit historique intitulé la Sanglante Tragédie est M. Beldiman, qui avait pris une part assez active aux événemens de 1821.