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prince qu’ils avaient su se rendre favorable, ils mirent l’administration : et le pays au pillage. De là des conspirations nationales contre le prince et les Grecs ses affidés. La première n’aboutit qu’à la mort des jeunes patriotes, qui l’avaient conçue peut-être avec trop de légèreté. La seconde, qui avait pour objet de venger ces victimes, ces martyrs vénérés, en même temps que de délivrer le pays, entraîna le peuple entier et le poussa à un massacre des Grecs. Ceux-ci n’étaient point gens à se rebuter pour de tels échecs ; ils revinrent peu à peu par des chemins de traverse, puis furent de nouveau culbutés et chassés en masse, mais sans désespérer encore d’un succès, qu’ils emportèrent d’assaut au commencement du XVIIIe siècle, par l’élévation du Fanariote Nicolas Mavrocordato à l’hospodarat successif de Moldavie et de Valachie. Les Grecs exercèrent les plus terribles représailles ; ils firent tomber toutes les têtes qui leur portaient ombrage ; ils se livrèrent à toutes les exactions, dilapidèrent la fortune publique, ruinèrent les particuliers, proscrivirent la langue roumaine avec tous les souvenirs de la nationalité et renouvelèrent sur un petit théâtre les bacchanales politiques des plus mauvais jours de l’empire romain. Cette persécution inouie, inénarrable, dans laquelle le poison joua son rôle comme le glaive, recommença sous chacun des princes du Fanar en Moldavie et en Valachie. La pensée que ce pays était une proie offerte au Fanar finit par se populariser parmi les Grecs de Constantinople. Un établissement en Moldo-Valachie devint le but de quiconque avait envie de faire fortune. Les enfans quittaient de bonne heure la famille, pourvus de quelque industrie de hasard à l’aide de laquelle ils s’introduisaient avantageusement dans les principautés et pouvaient y briguer d’honnêtes fonctions dont le prince n’était point avare. Une nation étrangère se substituait ainsi à la nation roumaine, ou plutôt les Roumains étaient devenus étrangers dans leur propre patrie[1].

Cependant ceux des Moldo-Valaques qui n’avaient point perdu le courage ou l’énergie et qui n’avaient point déserté la langue nationale pour la langue grecque, l’intérêt du pays pour l’intérêt des Fanariotes, ne cessaient de protester par leurs larmes, leurs gémissemens et leurs actes. Quant aux Turcs, si imprudemment endormis alors sur leurs triomphes passés, ils s’obstinaient à fermer les yeux. Pour détruire la

  1. Le plus ordinairement les Grecs arrivaient là avec l’humble et traditionnel métier de pâtissiers et de marchands de limonade. Aussi était-il passé en habitude à Constantinople que les accoucheuses, en recevant le nouveau-né du sein de sa mère, lui souhaitassent d’être un jour pâtissier, marchand de limonade et prince de Valachie. L’histoire des Fanariotes a été écrite par un Hellène, M. Zalloni, qui les signale avec une grande connaissance de cause à la défiance de ses concitoyens de l’Hellade, auxquels, en effet, ils n’ont jamais rendu que de très mauvais services avant ou depuis la guerre de l’indépendance. Le Magazinu historicu de Bucharest a publié aussi une histoire des hospodars fanariotes écrite au point de vue roumain.