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vivaient entassées, loin du jour, dans des cabanes souterraines. Puis, par une opposition qui se reproduit naturellement, tout à côté de cette misère, de joyeuses villas, de splendides et opulens monastères, bâtis sur le penchant des collines boisées, s’offraient à mes regards. Des traîneaux élégans ou des voitures de la forme la plus légère traversaient la route avec des attelages impétueux et des cochers de la dernière audace. De nobles boyards voyageaient, nonchalamment étendus sur des lits et des coussins moelleux, au fond de ces commodes équipages, suivis de leur batterie de cuisine, sûrs d’arriver avant la nuit à quelque maison amie où l’hospitalité les attendait, ou du moins d’improviser quelque bon repas sous le toit d’un paysan, si le hasard les condamnait à ce pis-aller.

Pour moi, qui étais entré dans les principautés sans précautions et sans appui, j’en étais réduit à la pitance des paysans valaques, et, pour toute hôtellerie, j’avais le soir leurs huttes informes. Je partageais donc avec eux le traditionnel gâteau de maïs, la mamaliga nationale, et leurs lits de planches mal jointes, recouverts quelquefois de paille et plus souvent d’une seule natte de jonc. J’étais cordialement fêté par mes hôtes, qui s’empressaient toujours d’être agréables à un Wlask de l’Occident, et, pour peu qu’il y eût là quelque Zingare muni de son violon, je pouvais compter sur des danses pittoresques et joyeuses. Dans les villages de la frontière occidentale et dans les petites villes de l’intérieur de la Moldo-Valachie, on trouve souvent, au fond de ces cabanes si chétives, de pauvres employés de la poste, qui, élevés à Bucharest, parlent convenablement le français, et alors on peut puiser à loisir aux sources mêmes des traditions populaires. Les légendes ne manquent pas elles sont en général patriotiques ou religieuses, et, dans les deux cas, il est rare qu’elles ne mêlent point les temps modernes avec les temps anciens, les héros du moyen-âge avec les héros romains, les dieux du paganisme avec ceux de l’olympe chrétien. Dans ces récits, où la gaieté entre toujours pour quelque chose, les saints s’humanisent, les saintes ne sont ni revêches ni mystiques, et Vénus, entourée des Ris et des Plaisirs, règne encore, à côté des apôtres et de la Vierge, dans le paradis des paysans roumains. Il est pourtant un personnage particulièrement cher à l’imagination des Roumains ; et qui leur apparaît toujours entouré de gloire et de puissance : c’est le vainqueur du roi Décébale, c’est Trajan lui-même. Ils ne retrouvent pas seulement sa trace glorieuse dans les ruines des monumens élevés par lui sur le territoire national, ils croient reconnaître aussi sa présence dans les grandes manifestations de la nature. La voie lactée, par exemple, c’est le chemin de Trajan ; l’orage, c’est Trajan qui gronde ou qui menace ; enfin, tout ce qui porte l’empreinte de la force et de la grandeur, c’est l’œuvre de Trajan, dont l’ombre paternelle n’a point cessé de veiller