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ces grands sentimens faux et creux qui ont été la mauvaise queue de l’ancienne, Nous le voyons déjà : la république a des dévots tout prêts qui vaudront ceux de la royauté ; ils changeront seulement de dictionnaire et parleront la Marseillaise ; c’est déjà bien assez qu’on la chante. Notre espoir est que la république, en devenant chose de bon sens, sortira naturellement du domaine des fanatiques.

Un autre résultat de cette situation inattendue que les événemens ont faite à tout le monde, c’est que, tout le monde étant ainsi placé par une même nécessité dans le milieu républicain, cette nécessité étant également chanceuse et critique pour tous, pour ceux qui la rêvaient en l’ajournant comme pour ceux qui la redoutaient sans la prévoir, il n’y a lieu précisément ni de se vanter d’avoir été républicain la veille, ni de s’humilier de l’être le lendemain. Nous savons des républicains de très longue date qui, tout aussi foudroyés que leurs adversaires, ont été surpris par la république au moment où, dans leur cœur, ils soupiraient après la régence. Leur raison s’épouvantait de la fortune qui venait les chercher, et les suites du pouvoir qu’on leur offrait leur paraissaient si amères, qu’ils suppliaient qu’on détournât d’eux ce calice. Ils étaient de très bonne foi dans leur anxiété. Cela seul prouve assez qu’il ne faut pas trop distinguer entre le lendemain et la veille. De même qu’il n’y a plus aujourd’hui ni gauche, ni centre gauche, ni centre droit, il ne se peut logiquement qu’il subsiste encore un parti républicain au sens qu’avait ce mot-là dans l’ancienne nomenclature politique, ou bien il faudrait avouer que la France est maintenant dominée tout entière par une fort petite minorité. Les partis ont disparu ; il ne reste que les hommes, et les hommes doivent se serrer les uns contre les autres pour entrer avec plus de sécurité dans un ordre de choses où tout est encore mystère pour tous. Nous comprenons l’éclipse de certains noms compromis par un attachement trop direct à ce qu’il y avait de plus personnel dans le système monarchique ; nous ne saurions admettre en principe que les intelligences les plus élevées du pays doivent désormais se condamner à la retraite, parce que, comme la presque unanimité du pays, elles n’avaient pas été, jusqu’à présent, illuminées par la foi républicaine. Si elle était volontaire, cette retraite ne serait pas moins qu’une émigration à l’intérieur, un Coblentz à domicile ; si elle était forcée, imposée par la rivalité jalouse d’une coterie exclusive, ce serait de l’ostracisme. Nous nous obstinons à voir une place et un avenir dans la France nouvelle pour tous les esprits éminens qui ont servi l’ancienne France. Ou la différence qui sépare les deux régimes est en somme assez médiocre et plutôt de forme que de fond, et alors la présence des défenseurs déjà éprouvés de la liberté constitutionnelle ne sera pas inopportune au milieu des champions tout neufs de la jeune liberté, ou cette différence est un abîme, et leur présence alors nous est plus nécessaire que jamais pour nous aider à combler, s’il est possible, ces profondeurs menaçantes.

Ce que nous disons de certaines personnes du point de vue politique, nous le disons d’une classe tout entière du point de vue social : ni les classes, ni les individus ne peuvent honorablement déserter. Il est évident que la révolution de février ne s’est faite ni par la bourgeoisie ni pour elle ; ce n’est pas une raison pour qu’elle la laisse tourner contre elle en ne s’y associant pas. Il ne faut point qu’elle abdique. Les abdications n’ont jamais rien sauvé.

La bourgeoisie, maîtresse du pouvoir pendant dix-huit ans, doit s’adresser aujourd’hui sans doute de terribles reproches, et, si c’était le moment des récri-