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la France. On eût pu les satisfaire à moins et sans tant risquer, mais c’est parce qu’elles sont quand même satisfaites que la France accepte tout sans regimber. Débarrassons-nous de la rhétorique de convention, des fantasmagories de théâtre, des niaiseries du patriotisme sentimental, de la fausse grandeur des théoriciens utopistes, du faux zèle des importans et des brouillons qui prétendent lever leur droit de joyeux avènement sur toutes les révolutions : que demeure-t-il en somme dans la révolution de février ? Un progrès périlleux, mais tellement quellement accompli, un progrès sur lequel il n’y a plus à revenir, un invincible progrès de la démocratie : c’est par là que la France a d’instinct adopté la république. D’instinct vraiment et non pas d’enthousiasme ; il ne faudrait pas s’y tromper à force de lire chaque jour des bulletins de victoire.

Le pays est tout ému comme un homme qui, ayant franchi le précipice dans lequel il a failli s’abîmer, se raidit sur le bord pour reprendre équilibre, et, de peur du vertige, n’ose pas même tourner la tête ni mesurer l’espace qu’il a traversé. Les adhésions qu’a reçues la république ne signifient rien d’autrement tendre. On s’y tient, parce qu’on ne saurait plus où se tenir ailleurs. Des sympathies plus passionnées seraient sans doute plus poétiques ; elles seraient aussi des gages moins certains de stabilité. L’immense majorité de la population adhère à l’ordre républicain, non pas qu’elle l’ait désiré, non pas qu’elle l’aime par choix, mais parce que, dans l’état présent, il est pour tous chez nous l’unique point de repère, le seul point d’appui. Ce concours qu’on lui apporte, ce n’est pas affaire de sentiment, c’est affaire de nécessité. Vouloir la régence avec un Bourbon de la branche cadette, ce serait sauter en arrière le fossé qu’on est tout effrayé d’avoir sauté en avant. Vouloir la légitimité, ce serait sauter tous les fossés du monde, et, pour dire vrai, si la république de 1848, enlevée d’assaut comme l’avait été la royauté de 1830, n’était pas elle-même à son tour définitive, si l’on pouvait en appeler à un avenir quelconque de l’arbitraire qui, sans attendre la ratification nationale, transforme un gouvernement provisoire en un gouvernement républicain, serait-ce assez d’aller chercher la royauté de 1830 ? Ne faudrait-il pas la royauté légitime assise sur son principe inébranlable ? Ne faudrait-il pas invoquer l’immobilité du vieux droit contre l’éternelle mobilité des faits ? Mais nous donner pour la seconde fois ce cruel démenti, recommencer ainsi ces mêmes variations dont nous avons déjà épuisé la série durant un demi-siècle, pousser encore devant nous ce rocher d’Ixion, c’est à décourager tous les amateurs d’essais politiques. La France est donc républicaine, parce qu’il n’y a plus moyen qu’elle soit autre chose. Cette raison-là nous parait la meilleure de toutes, et ce n’est pas la moins savante, quoiqu’elle ait l’air si simple.

On en peut d’ailleurs tirer certaines considérations qui ne laissent pas d’avoir leur à-propos : voici la première. La république installée de la sorte, sans grande chaleur d’ame, sans affection proprement dite, uniquement parce qu’elle est de circonstance et de ressource, la république ne peut guère prétendre à faire avec la France qu’un mariage de raison. Elle entre ainsi plus que nous ne l’aurions jamais cru dans la catégorie des gouvernemens modernes qui doivent être de grandes machines intellectuelles où la passion n’ait guère d’accès ; elle va probablement fonctionner à froid. C’est un progrès qui la rendra peut-être méconnaissable pour les quelques traînards de 93 qui voudraient toujours la trouver écumante et essoufflée. Le malheur, en vérité, serait médiocre, et ce n’est pas nous qui nous plaindrions si la nouvelle république nous délivrait une bonne fois de