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grace à Dieu, balancer les uns par les autres ces principes en apparence exclusifs, et les employer comme on le fait en mécanique de forces plus ou moins divergentes qui se résolvent finalement en une force unique, la résultante de toutes les composantes. De même que la liberté politique a besoin d’être mariée au principe d’ordre, sans lequel elle ferait de funestes écarts, de même on peut espérer de parer aux inconvéniens les plus marqués de la concurrence par l’application intelligente d’un principe que célèbrent justement sur le ton de l’enthousiasme toutes les écoles socialistes, le principe d’association.

Ainsi M. Blanc a raison de recommander aux ouvriers, pour la jouissance des fruits de leur travail, la vie en commun ; ce régime sociétaire, appliqué à la consommation, donne une économie très remarquable, et permet par conséquent de multiplier le bien-être et les plaisirs de chacun avec une même quantité de ressources. Par l’association, ce qui, dans l’isolement, était du dénûment, peut se changer en une existence passable. Ce n’est pas le seul bienfait qu’on doit attendre du principe d’association. L’association est possible dans la production même ; elle y est plus désirable encore que dans la consommation. Avant d’entrer dans quelques explications à ce sujet, je sens le besoin de montrer que ce que je dis ici n’est pas chez moi une opinion de circonstance, et que ce n’est point par résignation que je m’y rallie. Voilà ce que je publiais, en 1841, dans un écrit contre les fortifications de Paris, que les chambres discutaient alors, et depuis j’ai souvent reproduit la même idée.


« Au dedans, la dynastie était appelée à édifier, conformément à l’esprit nouveau des temps, une société calme et heureuse, avec les élémens épars et divisés comme des grains de sable que lui ont légués des bouleversemens sans exemple. Elle devait donner aux populations, à pleines mains, du bien-être, des lumières, de la moralité, en revendiquant l’aide de l’industrie, de la science et des arts, et en invoquant les idées suprêmes hors desquelles on chercherait en vain du bonheur pour les individus, de la stabilité pour les trônes et pour les empires. Elle avait à réaliser en permanence, dans la marche régulière de la politique et du travail, cette union admirable des ouvriers et des bourgeois, qui avait fait du mémorable drame des trois journées une révolution moule. Au fronton de l’édifice, elle avait à graver le principe de l’égalité, inaliénable conquête d’un demi-siècle d’efforts et d’aventures, toison d’or rapportée du plus laborieux des pèlerinages ; de l’égalité organique, afin d’en finir avec l’égalité anarchique. En un mot, la tâche de la dynastie au dedans, tâche difficile et longue, digne d’occuper des générations de rois et d’hommes d’état, c’était l’organisation du travail, s’il est permis d’employer une expression que les partis ont dénaturée. Cette politique libérale et organisatrice est antipathique au système guerrier ; elle suppose nécessairement la paix : elle n’est possible qu’avec elle et que par elle. » (Les fortifications de Paris, Lettre à M. le comte Molé, page 13.)[1].

  1. En rappelant ici ce que j’ai écrit, alors que je débutais dans l’enseignement de l’économie politique, je n’entends pas réclamer pour moi un brevet d’invention. Si c’est un mérite d’avoir proposé l’organisation du travail au moyen de l’association, ce mérite m’est commun avec tous les économistes modernes. Lisez-les tous, vous trouverez dans le cours de M. Rossi, comme dans les leçons de M. Wolowslki, dans les travaux de. M. Dunoyer, comme dans ceux de M. Faucher, de Fix, de tous les maîtres de la science, que l’association entre les ouvriers et les maîtres (je demande pardon de me servir encore du vieux style) est éminemment désirable, qu’elle tranchera le nœud des difficultés sociales des temps modernes.