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obtenir de leur travail, c’était de subsister d’une façon misérable. De nos jours, à la faveur du capital que la civilisation moderne peut consacrer à la mouture, on est parvenu à cette perfection, qu’un grand moulin, comme celui de Saint-Maur, près de Paris, est en état de moudre journellement la farine qui suffirait à faire la ration de cent mille soldats, sans employer plus de vingt personnes ; c’est une personne au moulin pour 5,000 consommateurs. Puisque, en ce temps-là, il fallait tant de travail pour si peu de résultat, Pénélope ne pouvait faire autrement que de traiter fort mal ses douze esclaves qui étaient à la meule, de leur donner une fort modique pitance, de les vêtir plus mal encore, et c’était de même dans toutes les professions. Avec une industrie qui serait organisée tout entière sur le pied du moulin de Saint-Maur, il serait possible et facile de rétribuer chaque travailleur d’une façon magnifique. C’est que, il y a 3,000 ans, faute de capital de tout genre, avec un grand nombre de travailleurs, il y avait fort peu de produits. Au contraire, dans une société où l’industrie serait tout entière portée à la perfection du moulin de Saint-Maur et où il y aurait assez de capital pour occuper toute la population, la quantité des produits serait immense en proportion du nombre des travailleurs ; le capitaliste pourrait avoir un beau profit, et le travailleur un fort beau salaire.

L’amélioration du sort des populations se traduit donc, aux yeux de celui qui analyse les faits, par cette formule simple : accroître le capital, développer tous les capitaux, y compris, remarquons-le bien, celui qui consiste dans l’habileté des hommes, dans leur activité au travail, dans leur goût pour le travail ; faire en sorte que, relativement au chiffre de la population, le capital sous toutes les formes soit le plus grand possible. C’est sous cette formule que l’on peut présenter la condition positive de l’amélioration non-seulement matérielle, mais intellectuelle et morale du sort de la classe la plus nombreuse, car encore une fois tout se tient. Il faut que cette formule prenne place dans la tête de chacun de nous, de ceux surtout, dont la main pèse en ce moment sur les destinées de la patrie, afin qu’ils s’en inspirent dans leurs actes. Puisque à cette heure ce sont les ouvriers qui sont nos souverains, il faut qu’on la leur signale et qu’on la leur recommande. Hors de là, il n’y a pour eux que des chimères et des déceptions, et, pour la société au sort de laquelle leur sort est lié, que péril, bouleversement, appauvrissement, catastrophe.

La première pensée de beaucoup de personnes qui ont superficiellement examiné cette grande question du siècle, l’amélioration du sort de la classe la plus nombreuse, c’est que la répartition des produits du travail est vicieuse, qu’il faut la changer d’urgence, et qu’on remédiera ainsi aux souffrances des ouvriers. De là les vives réclamations pour un accroissement de salaire. De là l’enthousiasme avec lequel a