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ruelles et des boudoirs, les Vanloo, les Fragonard, les Boucher, trouvèrent plus facile d’imiter une école que d’étudier et de reproduire la nature. Comme Rigaud et Largillière, ils procèdent de Rubens ; mais leur coloris, quelquefois si séduisant, n’est que le reflet affaibli de l’éblouissante palette du grand peintre. Si la forme est peut-être moins matérielle, elle n’est pas plus vraie ; le contourné remplace la souplesse, et la ligne flamboie avec la même insolence. Chez les peintres de genre et de paysage, l’imitation est plus éloignée, il y a plus de caprice. Ils n’empruntent guère aux Flamands que des combinaisons d’effet, des artifices de couleur. Aussi le résultat est-il plus satisfaisant, et ces peintres sont-ils restés originaux. Watteau, qui jette des figures peintes avec la légèreté de Téniers et la puissance de coloris de Netscher et de Terburg, dans des paysages profonds comme ceux de Breughel de Velours et que Rubens semble avoir esquissés ; Chardin, qui reproduit la nature morte avec autant de vérité et plus de largeur que Wéeninx, et dont les charmantes scènes d’intérieur rappellent Netscher et Nicolas de Hooch ; Greuze, le Van Dyck des grisettes de son temps, ce 11liéris pathétique et négligé ; Joseph Vernet, qui, dans ses paysages, a combiné Berghem et Claude le Lorrain, et qui donne à ses marines le mouvement et la fureur de Parcellis et de Backuysen, la profondeur et l’étendue de Cuyp et de Van den Velde, mais qui n’a ni le naturel ni la vérité de ces peintres, tous ces artistes, de talens si variés, tiennent chacun par quelques liens aux Flamands, leurs devanciers.

Lors de la grande réaction provoquée par Mengs en Allemagne et continuée en France par Vien et David contre ces peintres du XVIIIe siècle, qui faisaient un si étrange abus du style mouvementé des Italiens de la décadence ou des procédés de clair-obscur et de coloris des artistes néerlandais, l’école française renonça, d’un commun et subit accord, aux allures indépendantes et capricieuses de l’époque précédente et se rangea sous une même bannière. L’imitation de l’antiquité, comprise sous un aspect qui ne manquait pas de grandeur, mais qu’on n’obtenait trop souvent qu’en sacrifiant la grace et le naturel à une majesté factice et à une vigueur outrée, domine sans partage dans les ouvrages de cette période. Il n’est plus question que pour mémoire et par caprice d’érudition des écoles flamande et hollandaise. Comme les peintres du grand roi, les peintres niveleurs et académiques de l’école républicaine et impériale dédaignent souverainement tous ces faiseurs de magots. Les louer eût été un blasphème, les imiter un crime. On s’aperçoit trop, au coloris des grandes compositions de cette époque, du mépris qu’on avait pour les qualités les moins contestables de ces écoles. Une discipline si rigoureuse était trop antipathique à l’esprit français, indépendant et mobile de sa nature, pour qu’elle ne lassât pas promptement la jeunesse. Ce dédain était trop injuste pour qu’il se