Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1053

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décorer les murailles de leurs appartemens de représentations frivoles et qui ne disent rien à l’esprit, telles que des forêts, des étangs, des marines, tandis que les maîtres grecs ornaient leurs édifices de peintures dont le sujet était tiré de l’histoire des héros et des dieux. Lucien dit quelque part en raillant[1] : « Ce ne sont pas des villes et des montagnes que je cherche dans les tableaux, ce sort des hommes que je veux y voir, et je veux connaître par leurs attitudes et leurs actions ce qu’ils font et ce qu’ils disent. » Si les peintures de paysages qui décoraient les murs, des palais des grandes capitales de l’Italie et de la Grèce ressemblaient aux ouvrages de même genre trouvés à Herculanum et à Pompeïa, ces petites villes de troisième ordre, une telle défaveur était motivée.

Dans les peintures des manuscrits, le paysage est tout-à-fait accessoire ; il est probable cependant que c’est là que les Van Eyck l’ont été prendre pour remplacer les fonds d’or des Byzantins et de l’école de Cologne. Ces paysages des Van Eyck sont sèchement exécutés ; ils représentent d’ordinaire une ville fortifiée, bâtie sur des rochers et se mirant dans un large fleuve qui traverse des plaines verdoyantes : c’est le portrait fidèle des rives du Rhin. La perspective linéaire est exacte, mais la perspective aérienne est rarement observée : les lointains sont traités avec la même précision que les premiers plans ; on les croirait peints avec une lunette d’approche. Ces fonds de tableaux des Van Eyck ne manquent cependant pas d’une certaine poésie.

Quel est l’artiste, flamand ou hollandais, qui, le premier, peignit le paysage pour le paysage, n’y faisant entrer la figure de l’homme que comme accessoire ? Les historiens de la peinture néerlandaise ne sont nullement d’accord sur ce point. Il paraît certain cependant que, vers le temps des Van Eyck, un peintre de Harlem qui s’appelait Albert Van Ouwater, et que Jean Van Eyck avait sans doute initié au secret de la peinture à l’huile, composa, pour l’autel de l’église principale de cette ville, un retable représentant un paysage dont les premiers plans étaient occupés par une troupe de pèlerins. Patenier, que M. Michiels regarde comme le premier paysagiste proprement dit, n’a peint qu’un siècle après Albert Van Ouwater, de 1520 à 1540, et déjà, en 1511, Giorgion avait exécuté ces beaux paysages, si supérieurs à ceux de l’artiste flamand, dont nous avons au musée du Louvre un spécimen si vigoureux. Nous reconnaissons, d’ailleurs, qu’à partir de Joachim Patenier et de Henry de Bles, le maître à la Houpe[2], les paysagistes se multiplièrent singulièrement dans la Hollande et dans le pays de Namur.

  1. Contempl., p. 346.
  2. Ainsi nommé parce que dans tous ses tableaux figure un hibou de l’espèce vulgairement nommée houpe.