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que le nombre des artistes s’est accru dans une proportion vraiment merveilleuse, nous aurions mauvaise grace à nous étonner que, de la fin du XVIe siècle au commencement du XVIIIe, les Flandres aient produit quelques centaines de peintres. Ce qui doit surtout nous surprendre, par comparaison surtout avec le présent, c’est que presque tous ces peintres aient eu du talent, et que, parmi eux, on puisse distinguer de prime abord un grand nombre d’artistes éminens. La surprise cesse si l’on recherche avec quelque attention les causes de cette supériorité.

Avant de produire, les peintres flamands et hollandais se condamnaient à un long et laborieux apprentissage, et aucun d’eux n’eût quitté l’atelier du maître avant de savoir son métier, c’est-à-dire avant de posséder à fond certains procédés techniques quant au clair-obscur et au coloris, procédés que nous retrouvons toujours les mêmes, à fort peu d’exceptions près, dans tous les tableaux bons ou mauvais des artistes néerlandais. L’emploi de procédés uniformes, traditionnels, invariables, diminuait les difficultés matérielles. Le métier n’était plus pour l’artiste qu’une sorte d’instrument dont il jouait comme il l’entendait. Aujourd’hui cette première éducation de l’atelier est à peu près nulle ; au lieu de se servir de moyens connus et communs à tous, l’artiste tâtonne et cherche de nouvelles combinaisons. On perd ainsi à fabriquer l’instrument le temps que les artistes flamands et hollandais mettaient à s’en servir, et d’ordinaire, comme cet instrument est incomplet, on s’en sert mal et on joue faux. Le nombre des peintres sachant peindre est plus rare qu’on ne saurait croire.

La passion que les peintres flamands avaient pour leur art était une autre cause de leur excellence. Ils ne vivaient que par lui et pour lui. S’ils lui faisaient quelques infidélités, c’était pour le cabaret et la kermesse, et, comme ils finissaient quelquefois par établir leur atelier au milieu des cruches et des pots à bière, ou sur le champ de foire, leur talent ne perdait rien à ces distractions passagères. Toutefois la raison principale de la rare perfection que la plupart de ces artistes ont donnée à leurs ouvrages, c’était le soin que chacun d’eux mettait à borner son champ, à restreindre sa manière à certains sujets et certains effets toujours les mêmes, ou, comme on dit aujourd’hui, à se spécialiser.

À partir d’Adrien Elzheimer, un des premiers peintres qui se soient attachés à reproduire les effets secondaires de la nature toute nue, la plupart des artistes, dits petits maîtres flamands et hollandais, se bornèrent chacun à l’imitation de scènes et d’effets analogues, souvent même toujours semblables. Brauwer, Craesbeke, les trois Téniers, les Ostade, Jean Steen et beaucoup d’autres peignent à qui mieux mieux les cabarets, les kermesses et toutes les péripéties bouffonnes, souvent même dramatiques, de l’orgie flamande. Leurs grotesques bacchanales peuplent les musées de l’Europe. Terburg, Metzu, Jean Leduc, Nicolas,