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découpent plutôt les formes qu’elles ne les dessinent ; on sent que la main de l’artiste a commencé par tenir un burin.

Comme Albert Durer, Holbein et Lucas Kranach chez les Allemands, Lucas de Leyde marque en Hollande le passage du style des maîtres primitifs à ce style complexe où le caractère national et le caractère italien se sont parfois si heureusement combinés. Quintin Matsys, le peintre forgeron, qui dut à l’amour son talent et sa gloire, est déjà tout-à-fait flamand.


Connubialis amor de Mulcibre fecit Apellem,


dit son épitaphe. En étudiant les nombreux ouvrages de l’Apelles d’Anvers, on retrouve le forgeron dans quelques-unes de leurs parties dont l’aspect a quelque chose de métallique, et qui semblent repoussées avec le marteau et polies avec la lime.

Quintin Matsys a donné toutefois plus d’ampleur au style des peintres primitifs ; sa touche a plus de liberté, son coloris est plus franc ; il a poussé plus loin que ses devanciers l’étude intelligente de la nature, quoique souvent il sacrifie trop encore à l’exactitude de l’imitation. Ses Peseurs d’or, qu’on rencontre dans toutes les galeries de l’Europe, et dont nous avons au musée du Louvre un assez bon exemplaire, sont la dernière expression de sa manière. La naïveté convenable des têtes, la finesse et le modelé des mains, l’exécution patiente et précise des accessoires, sacrifiés cependant à l’effet d’ensemble, tout cela fait pressentir la révolution que, dans le cours du XVIe siècle, Bernard Van Orley à Bruxelles, Michel Coxie à Malines, Lambert Lombard et Frans Floris à Anvers, Mabuse à Amsterdam, devaient accomplir dans la peinture néerlandaise.

Les peintres que nous venons de citer visitèrent tous l’Italie ; il ne faut donc pas s’étonner de les voir substituer un style tout nouveau aux anciennes pratiques qu’aucun d’eux pourtant, Lambert Lombard et Frans Floris exceptés, les plus italiens des peintres flamands, n’abandonna jamais complètement ; ils marquent la limite extrême du moyen-âge et des temps modernes ; par eux, la renaissance italienne s’est propagée dans les Flandres, s’attaquant plutôt au fond qu’à la forme, qui, même au moment du suprême triomphe de l’invasion ultramontaine, quand Rubens poussait jusqu’à ses dernières conséquences l’expression du goût italien, reste soumise à certaines influences locales encore visibles sous la magique enveloppe dont son pinceau a cherché à les couvrir. L’esprit, chez lui, n’est jamais complètement dégagé de la matière ; la beauté est robuste et toute terrestre, l’énergie triviale, l’expression grossièrement vraie. Quelques véhémens efforts que fasse le fougueux génie du grand peintre d’Anvers, l’idéal lui fait toujours défaut.