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et c’est bien rarement qu’il jette sur les témérités de sa palette, sur l’insolence de sa touche, le voile d’un glacis[1].

L’école des Van Eyck exerça une puissante influence dans toute l’Allemagne ; elle modifia les anciennes écoles et en créa de nouvelles. Les écoles de Harlem et de Leyde, où l’art hollandais prit naissance, en sont les deux dérivations les plus rapprochées. Albert Van Ouwater, élève de Van Eyck, apporta le premier à Harlem les procédés du maître. Il aimait, comme lui, à orner les fonds de ses tableaux de vues de villes ou de vastes campagnes qui remplaçaient les fonds d’or des Byzantins. Il n’est donc pas surprenant que les plus grands paysagistes hollandais soient sortis de l’école de Harlem.

Cornille Engelbrechtsz, l’un des plus faibles continuateurs des Van Eyck, fut le fondateur de l’école de Leyde. L’influence allemande domine dans ses ouvrages, d’une exécution sèche et rebutante ; elle se fait sentir encore dans les compositions de Lucas de Leyde, son élève et son plus beau titre de gloire. Il n’a manqué à Lucas de Leyde qu’un champ plus favorable et une carrière plus longue pour être un des plus grands artistes des temps modernes. Dessinateur habile à l’âge où les autres hommes sont encore enfans, Lucas de Leyde gravait à douze ans des planches qu’Albert Durer n’eût pas désavouées. A seize ans, il était le digne rival du maître de Nuremberg. C’est à cet âge qu’il exécuta cette singulière gravure de la Tentation de saint Antoine, où il a représenté le diable sous la figure d’une belle femme, avec un chaperon à cornes, offrant au saint un vase précieux. Lucas de Leyde a pressenti la grace divine des grands maîtres de l’Italie, mais il n’a pas encore le sentiment de la beauté. Ses femmes sont de robustes Flamandes, à la haute stature, aux formes massives, à la face large et claire, au front haut et bombé, sous lequel de petits yeux bleuâtres, dépourvus de sourcils et de cils, brillent d’une lueur terne. L’expression est naïve et souriante ; c’est par là que Lucas de Leyde se rapproche des premiers maîtres florentins. Quant à la vérité locale, à cette pureté de formes, à cette sobriété d’ajustemens et d’accessoires que la connaissance de l’antiquité eût pu lui donner, il n’en a nul souci. Les personnages de ses tableaux bibliques ou religieux sont tous costumés comme les bourgeois de Leyde ou de Maëstricht, et toujours avec une richesse singulière ; son dessin a plus de sécheresse que de précision, de finesse que de vérité. Il entoure volontiers ses étoffes de petits lisérés clairs qui

  1. Nous regrettons de ne pas être, sur ce point, de l’avis de M. Arsène Houssaie ; mais Rubens n’a pas si complètement caché sa palette qu’il le prétend. C’est un des peintres au contraire dont la touche est écrite le plus brutalement. Il est telles de ses compositions les plus emportées où chaque coup de brosse a placé sur la toile une couleur presque vierge.