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par les maîtres eux-mêmes, ne possédèrent pas la réunion complète de toutes les conditions qui font les grands artistes. Leurs merveilleuses qualités sont obscurcies par de grands défauts qui tenaient sans doute à leur temps, à ce qu’ils arrivaient les premiers, mais qui n’en sont pas moins des défauts. Tels artistes qui vinrent après eux, qui possédèrent leurs qualités et qui purent éviter leurs défauts, leur sont supérieurs. Léonard de Vinci et Raphaël par l’exquise réunion du sentiment profond et délicat et de la précision du dessin, Corrége par l’harmonie et la grace, Titien et Paul Véronèse comme coloristes puissans, mais surtout vivans, se sont élevés à une bien autre hauteur que tous ces maîtres primitifs de la Flandre, et même de l’Allemagne, qu’on proclame sans rivaux.

L’archaïsme, quelque naïf et précis qu’il soit, quelque degré de patience, de savoir même qu’il affecte, quelques rares qualités qu’il laisse entrevoir, n’est jamais que l’art à son enfance. La pauvreté n’est pas la vérité, pas plus que la sécheresse n’est la précision, et le trivial le naturel. Nous ne croyons donc pas, comme l’avance M. Arsène Houssaye, que les Italiens doivent plus aux Flamands qu’ils ne leur ont rendu. Pour tout homme qui a étudié sérieusement les procédés employés par chaque école et qui s’est rendu compte, par une expérience personnelle, de l’emploi matériel de la couleur, il n’est pas possible d’établir une comparaison sérieuse entre le coloris des Flamands et celui des Vénitiens. Ce sont des systèmes essentiellement différens. Jean Bellin, Titien, Tintoret, Giorgion et Paul Véronèse, excellens coloristes chacun dans son genre, le sont par l’application de procédés analogues, mais particulièrement par l’habile emploi des glacis, par la savante combinaison des tons secondaires plutôt que des tons primitifs. Les noirs, les blancs, les rouges, les bleus, sont rompus, et ont subi une modification radicale avant d’être placés sur la toile. Dans ces vastes compositions de Paul Véronèse, où le jour rayonne, où l’air circule avec une admirable transparence, on ne peut rencontrer un blanc vraiment blanc, un noir vraiment noir. Les chaudes et ardentes compositions de Titien ne nous présentent pas un rouge et un jaune qui ne se soient réciproquement modifiés. A quelques exceptions près, mais surtout à l’exception de Rembrandt, dont la manière comme coloriste est une combinaison de toutes les manières connues, les Flamands procèdent tout différemment et substituent l’empâtement aux glacis. Leurs tons se rapprochent plus des tons primitifs, et leurs gammes sont beaucoup moins variées ; souvent même la couleur passe de leur palette sur la toile sans subir de modifications sensibles. Rubens, le plus grand coloriste flamand, emploie, par exemple, le vermillon pur jusque dans ses reflets. Les tons les plus entiers se heurtent dans sa pâte splendide,