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Les Van Eyck et Hemmeling firent dans la peinture flamande une révolution analogue à celle que Guido de Sienne, Cimabué et Giotto avaient opérée en Italie au XIIIe siècle ; mais leurs successeurs ne furent ni des Girlandajo, ni des fra Angelico, ni des Masaccio, ni même des Taddeo Gaddi et des Orcagna. Du temps de ce dernier, on trouvait en Italie qu’il y avait encore de grands talens, mais que l’art de la peinture allait déclinant de jour en jour. Taddeo Gaddi, à qui Sacchetti prête cette opinion dans une de ses nouvelles, ne pouvait prévoir la venue si prochaine des Léonard de Vinci, des Michel-Ange et des Raphaël. Chez les Flamands, après les Van Eyck, on ne rencontre pas de ces grands talens ; l’art décline tout aussitôt, et l’on ne peut citer les noms de Gérard Van der Meire, de Liévin, de Witte, de Hugo Van der Goes, de Rogier de Bruges et même de Michel Vohlgemuth, que comme ceux d’imitateurs sans goût et de continuateurs souvent serviles. Nous savons bien qu’on a voulu, à diverses reprises, depuis le commencement du siècle, galvaniser ces cadavres. Depuis que M. Frédéric Schlegel a tenté dans une feuille littéraire, l’Europa, une renaissance archaïque de l’art allemand, depuis que MM. Boisserée et Solly ont formé leurs curieuses collections, bien des fanatiques se sont mis à leur suite, et on en est venu à trouver beau tout ce qui était vieux. Ce sont là de ces caprices de la mode dont on doit peu s’étonner et dont nous nous permettrons de sourire. On ne faisait pas grand cas des productions de tous ces peintres il y a cinquante ans, et on avait raison. On a beau se récrier, se passionner à froid, le mauvais restera toujours mauvais. Certes, nous ne nous établissons en aucune façon les défenseurs du goût qui régnait il y a un demi-siècle ; mais nous tenons pour fort bizarres ces prédilections contemporaines et les prétendues merveilles qu’elles ont enfantées. En fait de religions nouvelles, dans les arts, les rouvres nuisent souvent terriblement à la foi.

L’école exagère toujours les qualités du maître et en fait des défauts. Chez les continuateurs de Van Eyck, la fermeté et la précision de son dessin se changèrent en sécheresse ; la bonhomie quelquefois pleine de grandeur de ses personnages se transforma en gaucherie prétentieuse et grotesque ; le coloris seul de ces peintres se maintint dans la ligne du naturel et du vrai, mais il perdit toute souplesse, toute solidité, tout relief. Leurs tableaux présentaient encore l’aspect des tableaux du maître ; mais la science des grands effets, l’harmonie générale, avaient disparu ; ce n’étaient plus que des fantômes. Cette prompte décadence n’a rien qui doive nous surprendre. Quoi que prétendent, après M. Frédéric Schlegel, M. Michiels, M. Arsène Houssaye, dont le goût est plus délicat et qui au fond ne nous paraît pas tout-à-fait convaincu, les peintres flamands des premières époques, à commencer