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premiers essais qui leur vinrent de par-delà les Alpes. Un peintre sicilien, qui s’appelait Antonello et qui avait étudié à Rome, se rendit eu Flandre et obtint de l’inventeur lui-même communication de son procédé. De retour en Italie, il initia un de ses amis, le peintre Dominique, à la nouvelle manière. Dominique parcourut l’Italie, excitant partout l’admiration de la foule, la haine et l’envie des artistes. L’un d’eux, André del Castagno, dont le nom doit être voué à l’exécration des hommes, séduisit Dominique par ses caresses, obtint son secret, et le fit poignarder (1454). Dominique mourant se fit porter chez son ami Castagno, dont le crime serait resté inconnu, s’il ne l’eût avoué au lit de mort.

Castagno avait commis son crime en pure perte, car, au moment où Dominique succombait, Rogier de Bruges communiquait aux Vénitiens le secret de Van Eyck, que, d’un autre côté, Antonello avait fait connaître à Pino de Messine. Ce procédé se répandit si promptement dans toute l’Italie, que plus d’une ville en revendiqua plus tard la découverte. Les Napolitains veulent que ce soit un peintre de leur ville, Colantino del Fiore, qui l’ait trouvé. On voit dans la sacristie de l’église Saint-Laurent des pères mineurs, à Naples, un tableau de cet artiste représentant un saint Jérôme tirant une épine du pied d’un lion qui paraît peint à l’huile. Ce tableau porte la date de 1436. Il est donc postérieur d’une vingtaine d’années à la découverte du peintre de Bruges. Les Italiens doivent laisser aux Flamands la priorité de leur découverte. Ils leur ont emprunté leur manière de peindre à l’huile, et c’est à peu près là tout ce qu’ils leur ont pris ; les Flamands leur doivent beaucoup plus.

Au temps où vivaient les Van Eyck, les peintres de la Néerlande ne songeaient cependant pas encore à aller chercher leurs inspirations par-delà les Alpes. Dans les tableaux des deux frères, mais surtout dans leurs principales compositions, le goût du terroir est sensible, et les influences locales sont franchement substituées aux influences byzantines et rhénanes. Toutes les têtes sont bien flamandes et partant passablement vulgaires. Cependant le symbolisme et le sentiment religieux écartent encore le grotesque et le trivial, qui devaient dominer plus tard. Hemmeling continua les Van Eyck, et porta plus loin qu’eux l’imitation naïve et souvent puérile de la nature. Le manque de relief, la sécheresse, et une certaine indigence de forme qui, chez les continuateurs de l’école primitive flamande, dégénéra en véritable pauvreté, apparaissent déjà dans ses ouvrages, exaltés outre mesure depuis que ce goût pour la peinture archaïque, qu’on a qualifié de fièvre des vieux tableaux, das germanische Kunst-Fieber, s’est manifesté chez les Allemands.