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de ces tableaux ne peut résulter non plus de l’application d’un simple vernis et n’a jamais appartenu à la peinture en détrempe. Un agent, mêlé aux couleurs qu’il maintenait fluides pendant un temps suffisant pour permettre aux peintres les corrections et les reprises, et qui plus tard séchait en faisant corps avec la peinture sans rien lui enlever de son éclat et de son moelleux, a évidemment été employé par les artistes de l’antiquité. Ce procédé laissait au pinceau toute sa liberté, à la touche toute son audace. Il est telles de ces peintures, conservées au musée des Studi, dont les auteurs auraient pu lutter de fougue et d’adresse avec Rubens ou Bonington, surtout dans les détails d’ornemens et d’architecture. La peinture en détrempe, d’une exigence si impérieuse, se refuse à ces libertés et ne tolère ni ces hardiesses ni ces tours de force. L’encaustique n’a ni cet éclat, ni cette fluidité, ni surtout cette solidité. L’agent employé par les peintres romains, quel était-il ? L’analyse chimique n’a pu le faire découvrir. On a tout lieu de croire que l’huile y entrait en quantité considérable.

Pollux, dans son Onomasticon, où l’on trouve de si précieux renseignemens sur tout ce qui concerne l’art chez les anciens, énumérant les objets que les peintres de son temps employaient pour leurs travaux, indique, entre autres choses[1], les tables de bois, le trépied ou chevalet pour poser ces tables, les pinceaux, les couleurs d’espèces différentes, la cire et les substances résineuses qui se mélangeaient avec elle, non-seulement pour donner du corps aux couleurs, comme le suppose M. Raoul-Rochette, mais aussi, comme Pline nous l’apprend, pour faire sécher la cire et la mettre en état de résister aux atteintes de l’air et du soleil. A quelle époque s’opéra la substitution plus ou moins complète de l’huile ou de toute autre substance de même nature à la cire, substitution précieuse en ce sens qu’elle remplaçait un agent que le feu devait liquéfier par un agent naturellement fluide, et qu’elle supprimait ce réchaud ou cauterium qui compliquait si singulièrement l’attirail de peinture des artistes de l’antiquité ? Cette question reste encore à résoudre.

Dans la peinture du manuscrit de Dioscoride, dont nous venons de parler, outre le panneau, la toile qui y est fixée et le chevalet, nous voyons à côté de l’artiste une tablette sur laquelle ses couleurs sont disposées à peu près comme sur la palette de nos peintres ; elles paraissent de même consistance et ont été évidemment apposées par petits tas avec le couteau après que le peintre les a eu broyées. Outre cette grande tablette, le peintre tient encore à la main une tablette plus petite, comme une espèce de palette où sont disposées de la même manière les couleurs qu’il emploie. Ces couleurs étaient donc à demi liquides

  1. Pollux, Onomasticon, VII, 126-129.