Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1030

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le surlendemain, une seconde lettre arriva. Cette fois, la mère Saint-Anastase l’ouvrit en présence de tout le monde, pensant qu’elle annonçait le jour de la cérémonie ; elle ne contenait que ces mots :

«J’ai perdu la partie. Mlle de Saint-Elphège est morte ce matin sans avoir eu le temps de faire ses dernières dispositions, c’est M. le baron de Barjavel qui hérite de l’universalité de ses biens. »

— Et vous, ma cousine? s’écria le baron en se tournant vers la prieure.

— Moi! répondit-elle j’ai fait vœu de pauvreté ; je ne puis hériter, pas même d’une de nos sœurs qui me léguerait son dernier habit, sa cotte morte, comme on dit ici ! Oui, grace au ciel, cher Antonin, vous réunissez en vos mains tous les biens de la maison de Farnoux !

— C’est beaucoup plus qu’il n’en fallait à mon ambition, fit le baron en regardant l’abbé Gilette ; qu’allons-nous faire de ces richesses?...

— Pas grand chose! répondit philosophiquement le bonhomme. Le baron de Barjavel laissa à ses gens d’affaires le soin de prendre possession de ce grand héritage ; il continua de vivre dans le petit hôtel où ils s’était logé en arrivant à Paris, et de venir tous les jours au couvent des dames du Saint-Sacrement. Souvent la mère Saint-Anastase lui-disait : — A mon cher Antonin, j’ai craint un moment, je le confesse, que votre nouvelle situation ne vous éloignât de nous…Vous ne viendriez plus visiter les pauvres filles du Saint-Sacrement, si vous viviez dans les mêmes splendeurs que feu notre grand-oncle ; mais, véritablement, je suis rassurée, tant vous songez peu à jouir de votre richesse ! J’’aurai sans fin le bonheur de vous voir chaque jour.

L’hiver e passa ainsi. Un matin, c’était dans les premiers jours d’avril, Antonin vint au parloir un peu plus tôt que de coutume. Mlle de Champguérin y était avec une religieuse ; elle arrangeait devant ses saints des bouquets de narcisses et de primevères ; cette fois, elle ne prit pas la fuite, mais, faisant au baron une timide révérence, elle courut avertir la mère Saint-Anastase de son arrivée.

Lorsque la prieure entra dans le parloir, elle trouva Antonin accoudé contre la grille et regardant d’un air rêveur les bouquets que venait d’arranger Alice.

— Que je suis aise le vous voir aujourd’hui d’aussi bonne heure lui dit-elle gaiement ; d’où me vient ce bonheur, cher Antonin?

C’est que j’ai à te parler d’une chose très sérieuse, répondit-il en souriant ; oh! ma bonne Clémentine, depuis quelque temps j’ai conçu un espoir qui me ravit et me tourmente tout à la fois, j’ai formé un dessein auquel je me suis attaché de toutes les forces de mon ame.

— Parle, parle donc! dit la mère Saint-Anastase avec émotion.

— Je veux me marier, reprit-il en baissant la voix, je veux me marier, si Mlle de Champguérin accepte l’offre de ma main.