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des étrangers à son service, et les plénipotentiaires avaient toujours proposé pour base d’un accord des concessions réciproques à cet égard. Maintenant la situation avait changé depuis que l’infant d’Aragon, réconcilié avec son frère, était banni par le roi de Castille aussi bien que le comte de Trastamare. Il fallait donner une satisfaction à don Pèdre, et en même temps ménager l’amour-propre de Pierre IV et lui épargner l’humiliation de paraître sacrifier les hommes qu’il avait engagés dans sa querelle. Voici par quels moyens le légat résolut ou éluda cette difficulté. On se souvient que, depuis le règne de don Alphonse de Castille, les maîtres de Saint-Jacques et de Calatrava réclamaient des domaines considérables et le droit de nomination à plusieurs commanderies situées dans le royaume d’Aragon ; les souverains de ce pays s’étaient approprié le droit d’investiture. Le cardinal imagina d’assimiler les deux maîtres aux deux chefs des émigrés castillans, l’infant don Fernand et don Henri. Cette fiction une fois adoptée, il fut facile de rédiger des stipulations réglées en apparence sur un pied d’égalité parfaite. Il fut convenu que l’infant don Fernand et le comte de Trastamare passeraient sur la rive gauche de l’Èbre huit jours après la publication de la paix, et qu’à l’avenir ils ne pourraient ni posséder une forteresse, ni fixer leur résidence à moins de trente lieues des frontières de Castille ; qu’il leur serait interdit de recruter des soldats en Aragon, d’y acheter des armes ou des vivres, en un mot d’y faire aucun préparatif militaire ; que, s’ils entraient au service d’un prince étranger ennemi du roi de Castille, ils ne pourraient être reçus en Aragon pendant la durée de la guerre ; enfin, que le roi d’Aragon, tant qu’ils demeureraient dans ses états, se rendrait garant de leur conduite, répondrait de toutes les entreprises hostiles qu’ils pourraient tenter, et, le cas échéant, paierait des indemnités proportionnées aux dommages auxquels de semblables tentatives pourraient donner lieu.

De la part de la Castille, mêmes engagemens, mêmes promesses à l’égard des maîtres de Saint-Jacques et de Calatrava. On leur appliqua les mêmes prohibitions[1], et don Pèdre se rendit également caution de leur conduite. En outre, les deux rois arrêtèrent d’un commun accord qu’ils s’abstiendraient de toute usurpation, de tout acte d’hostilité contre les propriétés de ces quatre personnages placés en quelque sorte en dehors du traité ; mais en même temps don Pèdre déclara qu’il ne reconnaissait à don Henri et à don Fernand d’autres propriétés que celles qu’ils possédaient en Aragon, et Pierre IV fit les mêmes réserves

  1. L’article qui interdisait aux maîtres de posséder des forteresses à trente lieues de la frontière d’Aragon était manifestement impossible à exécuter, à moins qu’il ne s’agit des forteresses appartenant en propre aux maîtres, et non de celles que possédaient leurs ordres. Ainsi, par exemple, Segura de la Sierra, commanderie castillanne sur la frontière de Valence, ne pouvait être enlevée à l’ordre de Saint-Jacques.