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à qui l’on proposait de prendre part à la coalition contre la Castille[1]. Cet avertissement vint surprendre don Pèdre au moment où, à la tête d’une armée considérable, il venait d’entrer en Aragon et de s’emparer de quelques places. La diversion dont il était menacé était fort dangereuse, car l’Andalousie était alors à la merci des Maures ; la plupart de ses chevaliers et la fleur de ses génétaires se trouvaient réunis, loin de leurs foyers, dans le camp du roi. L’imminence du danger l’obligeait à renvoyer précipitamment l’élite de ses troupes sur la frontière de Grenade, et il se voyait contraint d’abandonner l’Aragon au moment où tout semblait céder à ses armes. Dans cette perplexité, don Pèdre prit son parti avec son impétuosité ordinaire. De même que le lion oublie une première blessure pour se jeter sur le chasseur qui vient de lui porter la dernière atteinte, don Pèdre tourna toute sa fureur contre son nouvel ennemi. Sa haine était trop violente pour se partager ; du roi d’Aragon il la reporta tout entière contre Abou-Saïd, et nul sacrifice ne lui coûta pour en tirer une éclatante vengeance. Le cardinal Gui de Boulogne, qui ne perdait pas une occasion pour reproduire ses propositions de paix, s’aperçut aussitôt de ce changement et le mit à profit. Cet accommodement, qui naguère paraissait impossible, se termina en quelques jours avec une surprenante facilité. L’Aragonais tenait à ses avantages matériels ; le Castillan ne cherchait qu’une satisfaction de vanité, ou plutôt il ne demandait qu’une chose, c’est qu’on lui abandonnât l’usurpateur de Grenade. Arbitre entre les deux souverains dont il avait eu le temps d’étudier à fond le caractère, le cardinal proposa que le roi d’Aragon retirât sa protection à l’infant et au comte de Trastamare, et que don Pèdre rendît toutes les villes dont il s’était emparé. Quant aux prétentions que les deux princes alléguaient sur Alicante et Orihuela, le cardinal, ajournant toute discussion à ce sujet, maintint le statu quo en attendant que l’affaire fût examinée par le pape, qui prononcerait en dernier ressort. À ces conditions acceptées de part et d’autre avec empressement, la paix fut conclue, signée par les deux rois, et don Pèdre reprit aussitôt le chemin de Séville, ne pensant plus qu’à publier une croisade contre les Maures.

Telles furent les bases du traité de paix publié vers le milieu de mai 1361[2]. Je vais en exposer brièvement les principales conditions. On a vu que, lors des précédentes négociations, chacun des deux rois avait à sa solde un ou plusieurs parens de son adversaire, commandant un certain nombre de bannis ou de mécontens. De cette coïncidence singulière résultait pour chacun des deux rois la nécessité de stipuler en faveur

  1. Ayala, p. 348.
  2. Publié par le roi de Castille, à Deza, le 13 mai ère 1399 (1361), et à Calatayud, par le roi d’Aragon, le 14 du même mois.