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lignes correctes de ce beau visage, l’ombre du cloître avait garanti cette noble tête et après dix-huit années, personne n’aurait hésité à reconnaître, sous le voile de la mère Saint-Anastase, prieure du couvent des sacramentines, la charmante petite-nièce du marquis de Farnoux, la jeune fille qui s’appelait jadis dans le monde Mlle de l’Hubac. Comme toutes les femmes qu’une fervente vocation n’entraîne pas dans le cloître, et qui se vouent à l’état religieux en emportant au fond du cœur sanglante blessure des passions humaines, la mère Saint-Anastase n’était point entrée dans les voies mystiques de l’amour divin. Un souvenir profane remplissait encore toute son ame ; il était l’aliment de sa vie intérieure et la douloureuse consolation de son éternel sacrifice. Depuis le jour de sa profession ; elle avait été d’ailleurs un exemple d’humilité, de douceur, de parfaite soumission aux austères devoirs imposés par la règle ; et les suffrages de la communauté l’avaient élevée récemment au priarat cette dignité de prieure conférait, d’après les constitutions de l’ordre, une souveraineté absolue.

En ce moment, la mère Saint-Anastase était plongée dans une rêverie profonde ; sa pensée avait franchi l’espace ; elle retournait à la Roche-Farnoux, dans la salle verte, sur le balcon où par un temps d’orage, M. de Champguérin avait pris sa mnain tremblante les yeux levés vers les fenêtres du chœur, où brillaient de rapides éclairs, elle se rappelait les longues raies de feu qui sillonnaient les nuages, tandis qu’elle tournait son visage au souffle de la tempête qu’elle écoutait, le cœur enivré d’amour, celui dont elle n’osait soutenir le brûlant regard. — Oh! murmura-t-elle, que le ciel était beau ce soir-là !... qu’il était doux, l’air tout trempé de pluie et de parfums qui soufflait des montagnes!

Laudetur sanctum sacramentum ! dit une religieuse en paraissant à l’entrée du chœur.

Amen ! répondit la mère Saint-Anastase, que cette voix rappela tout à coup des parages lointains où errait sa pensée. Ensuite elle se retira lentement, salua l’autel d’une dernière génuflexion et se retira, laissant à sa place la religieuse qui venait à son tour faire ses actes d’adoration.

Aucune marque extérieure aucune prérogative apparente ne distinguait la prieure des sacramentines. Elle portait, comme ses fille en Jésus-Christ, une coule de serge noire avec un long scapulaire de même couleur, sur le devant duquel était brodé l’écusson de l’ordre, et sa cellule n’était ni plus grande ni plus ornée que celles des autres religieuses. Cette pièces, dont la porte s’ouvrait sur un vaste corridor qu’on appelait le dortoir des dames, était arrangée avec une extrême simplicité ; la couchette en bois de noyer, abritée sous un tendelet blanc, faisait face à la fenêtre, devant laquelle s’étendait un rideau de toile claire.