Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1012

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Soit ! fit-il en quittant précipitamment le balcon ; aussi bien je ne saurais dormir dans ce lit d’auberge avec le son de cette cloche qui carrillonne là-haut sur ma tête.

En effet, depuis un moment la cloche du couvent tintait à intervalles égaux et jetait dans l’espace des notes graves qui se confondaient avec le bruit croissant de l’orage. Cependant tout reposait encore dans l’intérieur de la sainte maison, tout y était sombre et silencieux, hormis l’église et le sanctuaire où, selon l’idée fondamentale de l’institution des sacramentines, il devait y avoir nuit et jour une religieuse en adoration devant le tabernacle.

Les cierges allumés sur le maître-auteul, où le saint-sacrement était exposé, rayonnaient dans le sanctuaire paré de riches tentures et orné d’une profusion de fleurs;. mais une demi-obscurité régnait dans les autres parties de l’église, et le chœur était à peine éclairé par une lampe suspendue devant la statue de la Vierge. Comme dans tous les monastères, le chœur des religieuses était séparé de l’abside par une double grille à travers laquelle les regards profanes ne pouvaient pénétrer. Les lambris de cette enceinte sacrée étaient couverts de ces vieilles toiles qu’on retrouvait sur les murs de tous les couvens, et qui représentaient ordinairement les traits les plus frappans, les scènes les plus lugubres du martyrologe. Heureusement le temps et l’humidité avaient fort altéré ces noires peintures ; les instrumens de torture, les hideux détails des supplices, étaient confondus dans des tons uniformes d’un noir bistre, et les figures rayonnantes des martyrs ressortaient seules au milieu de ce sombre chaos. Au centre du chœur, non loin de la grille et en face du maître-autel, s’élevait un poteau planté dans le sol ; une grosse corde était enroulée à ce bois grossier, au pied duquel gisait une torche renversée. C’était à cette place qu’avait lieu chaque jour l’espèce de cérémonie qu’on appelait la réparation ; c’était devant ce poteau que chaque matin, à l’issue de la messe conventuelle, une religieuse venait faire amende honorable la corde au cou, la torche à la main, pour apaiser la majesté divine outragée par les hérétiques blasphémateurs des saints mystères.

La religieuse qui achevait en ce moment son heure d’adoration était seule dans le chœur ; prosternée sur les dalles, une main appuyée au poteau, elle avait laissé tomber son formulaire, et, les yeux levés au ciel, elle ne priait pas, elle rêvait en écoutant les formidables voix de l’orage qui commençaient à gronder de toutes parts. Son visage encadré dans une guimpe de toile et à demi caché sous un épais voile noir, était pâle et légèrement effilé ; elle avait le teint uni et reposé particulier aux personnes dont la vie est tout-à-fait sédentaire et cette blancheur de marbre donnait à ses traits réguliers et purs une sorte d’éclat plus frappant que celui de la fraîche jeunesse. Le temps avait respecté les