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mère qui, depuis son retour de Portugal, demeurait auprès de lui. Le malheureux prince devait toujours voir sa confiance trompée. La reine Marie traitait depuis quelque temps, à son insu, avec les chefs de la ligue. À peine eut-elle appris son départ pour Urueña qu’elle en informa les infans d’Aragon, les invitant à revenir au plus vite, sous promesse de leur livrer la ville. C’était finir la guerre ; car Toro renfermait les dernières ressources du roi. Les ligueurs ne perdirent pas un moment, et une marche de nuit les ramena devant la place, dont les portes leur furent aussitôt livrées. Dès-lors don Pèdre, sans magasins, sans argent, n’avait plus pour armée qu’une centaine de soldats, pour asile qu’un château qui ne pouvait soutenir un siège de quelques jours. Les confédérés, pleins de confiance en voyant la reine-mère se déclarer pour eux contre son propre fils, renonçaient déjà à ces respects qu’ils avaient jusqu’alors affichés dans leurs négociations avec le roi. Ils lui envoyèrent à Urueña non plus des propositions d’accommodement, mais l’intimation de se rendre sur-le-champ à Toro pour y régler les affaires du royaume[1].

Accablé par cette dernière trahison et se voyant pour ainsi dire livré par sa mère aux rebelles, don Pèdre tint conseil avec le petit nombre de serviteurs qui ne l’avaient pas quitté : c’étaient don Diego de Padilla, maître de Calatrava, frère de la favorite, Juan de Hinestrosa, son oncle, et Gutier Fernandez de Tolède. Prolonger la lutte semblait impossible. Presque tout le royaume était soulevé, et, si quelques villes avaient encore différé leur adhésion à la ligue, il était douteux qu’elles voulussent accueillir le roi se présentant en fugitif devant leurs portes. Toutefois Padilla et Gutier Fernandez lui conseillaient de tout tenter avant de se mettre à la merci des ligueurs qui, dans l’ivresse de leur triomphe, pouvaient se porter aux plus grands excès. L’un et l’autre refusaient d’ailleurs de le suivre à Toro, le premier, parce qu’il aurait à répondre du meurtre de Nuñez de Prado, son prédécesseur ; l’autre, parce qu’il craignait que don Henri ne vengeât sur lui la mort de sa mère assassinée dans le château de Talavera lorsqu’il en était le gouverneur. Hinestrosa parla le dernier. « Les conseillers du roi, dit-il, ne pensent qu’à eux-mêmes lorsqu’il s’agit du salut de notre maître à tous. Au point où en sont les choses, tout est devenu possible aux révoltés. Le royaume est à eux. Ils peuvent le donner à l’infant d’Aragon, et c’est le coup qu’il faut prévenir à tout prix. Que le roi conserve sa couronne aux conditions qu’on lui dictera et qu’il ne pense pas à nous. Sa présence à Toro imposera peut-être aux rebelles, divisés d’ailleurs de vues et d’intérêts. Qu’il essaie d’en gagner quelques-uns pour lui servir

  1. Ayala, p. 166. Cfr. avec le Sumario de los reyes d’España, p. 63, note ; et Gratia Dei dans le Semanario erudito, tome XXVIII, p. 287.