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possède certainement la fleur des bourgmestres. Naumbourg et Magdebourg sont, il est vrai, d’allure moins commode ; mais voilà bien un autre mal ! si la Saxe n’est pas encore une contrée d’esprit politique, en revanche elle est demeurée la digne patrie de Luther. Cet indomptable génie de libre examen que l’ecclésiaste de Wittenberg avait apporté dans le cloître du fond de la cabane de son père, ce génie passionné de la discussion religieuse, n’a pas cessé d’animer jusqu’aux ames les plus simples. C’est comme un souffle de critique et de guerre qui vole à la surface de cette terre d’ailleurs si paisible. Là presque tous les pasteurs sont rationalistes, en dépit de la surveillance des consistoires. Là s’est formé ce bataillon des amis de la lumière, qui grossit toujours à mesure que sa propagande ressemble moins à une conjuration. Là vit enfin cet éloquent et honnête Uhlich, humble adversaire, avec lequel il faut pourtant compter, parce que le cri de sa conscience répond aux plus sincères désirs d’une population tout entière. Il y a dans un pareil mouvement un embarras sérieux et continuel pour un gouvernement qui fait de la religion une partie intégrante de l’état. La couronne de Prusse n’est point en même temps une tiare comme la couronne d’Angleterre, et le roi Frédéric-Guillaume n’a point à trancher du pape, les consistoires et les surintendans administrant de droit la religion évangélique ; mais c’est M. Eichhorn qui nomme les surintendans et les consistoires, et c’est le roi Frédéric-Guillaume qui a voulu que M. Eichhorn fût son ministre. Quand donc le pauvre Uhlich se brouille avec le très savant conseiller Goschel, tout ensemble évêque et bureaucrate, sur la question de savoir s’il n’a point commis de sermon suspect ou de baptême schismatique, il est bien difficile que le souverain dont M. Goschel relève ne voie point dans cette circonstance quelque atteinte à sa majesté. Le roi Frédéric-Guillaume n’est pas au bout des contrariétés que lui prépare de ce côté-là sa bonne province de Saxe.

Les choses sont plus graves en Westphalie, et de plus d’une façon. Il n’y a pas là qu’un seul pays ; il y en a deux et deux très différens, la Westphalie du nord et celle du midi, mais l’une et l’autre aussi peu pressées d’être agréables aux gens de Berlin. Dans le nord, dans les évêchés de Paderborn et de Munster, c’est la basse Bretagne de la Prusse : rudes paysans et rude nature, des prêtres fanatiques, des gentilshommes entêtés, gloutons et chasseurs. Quelque part, sans doute, dans ces environs, s’élevait ce magnifique château du Candide de Voltaire, qui était le plus beau de toute la Westphalie, parce qu’il avait une porte et des fenêtres. Là les Juifs sont toujours maltraités par la populace, convertis de force par l’église ; on les bat que c’est plaisir ; on démolit leurs maisons en un tour de main ; ils se vengent à leur mode, et dévorent la campagne à force d’usure. L’homme de la campagne est encore écrasé sous