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toutes les cités marchandes qui bordent la côte, de la Baltique de Danzig à Memel[1].

Par une conformité peu ordinaire en Allemagne, et surtout peu favorable au gouvernement prussien, la noblesse de cette inquiète province, les chevaliers établis sur leurs domaines de campagne s’entendent avec les bourgeois des villes pour associer de part et d’autre des griefs qui sont au fond communs. Danzig est persuadé que son port serait mieux rempli, Elbing n’aurait pas pris au sérieux les prédicateurs anglais du free-trade, si une administration plus généreuse avait permis aux propriétaires de l’intérieur d’exploiter plus utilement la richesse rurale. Malgré les titres éclatans de son patriotisme, la province de Prusse est depuis long-temps délaissée ; toutes les dépenses ont été pour les provinces de l’ouest ; on n’avait pas peur que celle de l’est se donnât à ses voisins. Dans celle-là, maintenant encore, il n’y a point de chaussées, point de canaux, point de digues pour arrêter les débordemens périodiques de la Vistule ; on avait à peine commencé le pont de la Nogath qu’un accès de royale colère a failli le contremander. Séparée du Brandebourg par les sables de la Poméranie, bloquée pendant six mois au nord par les glaces de la Baltique, bloquée pendant toute l’année par les Cosaques de la douane russe, la Prusse orientale dépérit faute de débouchés au dehors, faute de communications suffisantes avec les parties centrales de la monarchie. Les bois pourrissent, les grains se perdent parce qu’il n’y a point assez de routes pour les amener à Danzig ou à Berlin. Les fortunes agricoles diminuent de valeur parce qu’on n’est point assez à même de les réaliser. Cette situation pénible affecte vivement la masse des propriétaires nobles ; il s’est répandu beaucoup d’aigreur dans ce corps si considérable, et la chevalerie prussienne est venue prendre place à la diète parmi les opposans.

Ce n’est point à coup sûr la chevalerie de Saxe qui aurait voulu d’un rôle si malséant. La Saxe, qui n’est prussienne que depuis 1815, rivalise de zèle monarchique avec le Brandebourg lui-même. La noblesse saxonne se tourne vers le soleil de Potsdam, un soleil à son midi, et l’adore en toute dévotion comme elle adorait, il y a cent ans, les astres charmans ou magnifiques qui brillaient alors à la cour de Dresde. Ce sont de pieux et loyaux seigneurs qui ne se targuent pas d’intelligence politique et ne demandent qu’à vivre doucement. Les bourgeois eux-mêmes, dans ce bon pays riche et fertile, au milieu des riantes beautés de la nature, ne se donnent point partout pour être d’humeur querelleuse, et en beaucoup d’endroits ils seraient volontiers prêts à bénir tous les gouvernemens. Erfurt est un pur foyer de royalisme, et Mülhausen

  1. Dans la Revue du 15 avril 1817 (les Écrivains politiques et le mouvement constitutionnel en Prusse), j’ai donné l’analyse d’un livre fort intéressant sur Kœnigsberg Koenigsberg und die Kœnigsberger, par M. Jung.