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II.

Pendant que les hostilités se poursuivaient mollement sur la frontière de Portugal, don Pèdre, se reposant sur ses deux frères du soin de presser le siège d’Alburquerque, oubliait son royaume et sa vengeance pour un nouvel amour. Maintenant Marie de Padilla semblait avoir perdu l’empire qu’elle exerçait naguère sur son cœur. Souffrante depuis quelque temps et touchant au terme d’une grossesse pénible, elle annonçait l’intention de quitter la cour et le monde pour se retirer dans un cloître. On ignore, et il importe peu de savoir, quelles querelles d’amans avaient provoqué cette résolution violente, mais il est certain que don Pèdre, loin de s’opposer au projet de sa maîtresse, en pressa l’exécution. Il écrivit même au pape pour solliciter les autorisations nécessaires à la fondation d’un couvent de femmes sous le vocable de Sainte-Claire, dont Marie de Padilla devait être la supérieure et où elle aurait prononcé ses vœux[1]. La rupture déclarée et publique paraissait irrévocable ; le roi était amoureux de doña Juana, fille de don Pedro de Castro, surnommé de la Guerra, et veuve de don Diego de Haro, descendant des anciens seigneurs de Biscaïe[2]. Vertueuse autant que belle, doña Juana se montrait insensible à toutes les séductions. La passion du roi s’irritant par les obstacles mêmes, il parla de mariage et offrit sa main et sa couronne à la jeune veuve. Quelque étrange que parût cette proposition, les parens de doña Juana comprirent que d’un prince violent et impétueux comme don Pèdre ils pouvaient tout attendre. Restait à prouver qu’il était libre. Don Pèdre prétendit que son mariage avec Blanche de Bourbon était nul, et, sur ce point délicat, donna des explications qui sont demeurées inconnues, mais qui satisfirent Enrique Enriquez, mari d’une tante de doña Juana, et Men Rodriguez de Senabria, chevalier galicien, tous deux chargés, en qualité d’arbitres, de faire une espèce d’enquête sur la position du roi. On devine les argumens employés pour les convaincre, en voyant Enriquez obtenir, comme sûreté pour l’exécution de la promesse de mariage faite par le roi, la remise des châteaux de Jaen, de Dueñas et de Castrojeriz. Probablement la complaisance de Men Rodriguez fut pavée de la même manière. Fort de leur approbation, don Pèdre se rendit aussitôt à Cuellar, résidence de la belle Juana ; mais elle exigeait encore

  1. Ces autorisations furent accordées par Innocent VI. Voy. Rainaldi, Annales eccl., année 1354.
  2. Don Pedro Fernandez de Castro de la Guerra avait eu quatre enfans, deux légitimes issus de son mariage avec doña Isabel Ponce de Leon (cousine de doña Leonor de Guzman) : c’étaient don Fernand et doña Juana ; les deux autres avaient pour mère doña Aldonza de Valladares : c’étaient don Alvar Perez de Castro et Inès, maîtresse de l’infant don Pierre de Portugal.