Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
956
REVUE DES DEUX MONDES.

dans les appareils imaginés pour l’inhalation de l’éther. On évite au moyen de ce procédé l’action irritante et même caustique que le contact prolongé du chloroforme exerce sur la muqueuse de l’ouverture du nez et de la bouche. La quantité de chloroforme employée dans les trois cas observés par M. Simpson ne dépassa pas quinze grammes : selon la remarque que fit à ses élèves M. le professeur Miller, il aurait fallu plusieurs onces d’éther pour atteindre le même degré d’insensibilité. On a vu l’éthérisation produite à l’aide du chloroforme en une minute, en une minute et demie, en quarante-huit ou trente secondes ; l’action de l’éther est certainement moins rapide. Comme l’a remarqué M. Simpson, et comme nous l’ont montré jusqu’à présent les faits observés à Paris, dix à vingt larges inspirations ont généralement suffi. Le nouvel agent produit donc, après une période d’excitation plus courte que celles des autres agens narcotiques, une insensibilité généralement plus durable ; il a, sous ce point de vue, quelque avantage sur l’éther, que l’on a rejeté pour certaines opérations longues et délicates. Comme il faut beaucoup moins de chloroforme que d’éther, le transport en est plus facile. Enfin il est permis d’espérer qu’en raison de la petite quantité de chloroforme nécessaire pour produire l’anesthésie, l’emploi de cet agent chimique, dont la préparation sera simplifiée sans doute, deviendra un jour moins coûteux qu’il ne l’est aujourd’hui, et qu’il ne sera pas plus cher que l’éther, si même il ne l’est moins.

Malgré ces avantages incontestables du chloroforme, le moment est-il déjà venu de se prononcer entre les deux agens ? Nous ne le pensons pas. Il ne faut point oublier que les inhalations éthérées ont épargné de cruelles douleurs à des milliers de malades qui en bénissent aujourd’hui la découverte. Il y aurait à examiner si les accidens nerveux qu’elles occasionnent ne se produisent pas le plus souvent chez les individus adultes d’un tempérament sanguin et dont le système musculaire est très développé. La vivacité du pouls que l’éther détermine en accélérant les battemens du cœur, et la surexcitation cérébrale qui l’accompagne, en proscrivent l’emploi chez les personnes prédisposées à l’apoplexie du cerveau ou des poumons et chez celles qui sont atteintes de catarrhe aigu ou d’affections organiques ; mais, en dehors de ces quelques conditions individuelles, l’éthérisation a été et peut désormais être recommandée avec une parfaite confiance.

Parmi les questions que soulève la double découverte qui préoccupe aujourd’hui le monde médical, il en est que le temps seul peut résoudre ; il en est d’autres sur lesquelles il n’est plus permis d’hésiter. De ce nombre est la nécessité d’une surveillance qui enlèverait à des mains inhabiles ou criminelles la faculté d’employer ces médicamens dangereux. En Allemagne, le contrôle d’un médecin est obligatoire toutes les fois que des opérateurs non reçus dans le corps médical, tels que les dentistes, veulent recourir à l’éthérisation. Dans certains cantons de la Suisse, l’autorité a pris les mêmes mesures. Il est à désirer que cet exemple soit suivi en France ; c’est le seul moyen d’y conserver à la nouvelle découverte son vrai caractère, celui d’un grand résultat scientifique et d’un inappréciable bienfait pour l’humanité.



V. de Mars.