Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nommée pour cet objet par la chambre préparera son travail pendant cette session préliminaire, mais elle ne fera probablement son rapport qu’au mois de février, à la reprise de la session ordinaire.

On accuse d’un côté l’acte de la banque, de l’autre le développement exagéré des entreprises de chemins de fer. Nous croyons que le mal ne saurait être attribué à une cause isolée. Presque régulièrement il y a des crises commerciales de dix ans en dix ans. Ainsi, en Angleterre, il y en a eu une en 1825, une en 1836, une en 1847. Presque toujours aussi ces crises sont précédées d’une période d’abondance, dans laquelle l’argent est à un taux d’intérêt très bas. Alors on abuse de sa santé ; on se jette dans des excès, dans de folles dépenses ; c’est ce que l’Angleterre a fait pour les chemins de fer. Il ne faudrait cependant pas attribuer la crise uniquement aux chemins de fer ; en même temps, par exemple, qu’ils absorbaient une énorme quantité de capital, la famine est survenue qui en a aussi réclamé une bonne part. Aujourd’hui, après avoir abusé de ses forces, on se range, on se met à la diète, on réduit l’échelle de ses dépenses ; tel est l’objet de la mesure que le chancelier de l’échiquier a présentée l’autre jour dans la chambre des communes. D’après cette mesure, les compagnies des chemins de fer déjà commencés, et auxquelles une certaine limite était imposée pour l’entier achèvement de leurs travaux, obtiendraient un délai de deux ou trois ans. Quant aux chemins de fer votés, mais non commencés, il serait interdit aux directeurs de les commencer sans avoir obtenu l’assentiment de la majorité des actionnaires. Enfin, les chemins concédés dans la dernière session seraient soumis à l’examen d’un comité qui choisirait ceux qui doivent passer outre. C’est, comme on le voit, un pas rétrograde, une espèce de rétractation du parlement lui-même qui se confesse publiquement d’avoir fait des extravagances. C’est, du reste, quelque chose d’inoui et de fabuleux que les proportions qu’avaient prises en Angleterre les entreprises de chemins de fer ; les chiffres en sont effrayans. Ainsi la dépense a été :

En 1841, de 1,470,000 livres (36,750,000 fr.).
En 1842, de 2,980,000 livres (74,500,000 fr.).
En 1843, de 4,435,000 livres (110,875,000 fr.).
En 1844, de 6,105,000 livres (152,625,000 fr.).
En 1845, de 17,600,000 livres (440,000,000 fr.).
En 1846, de 36,485,000 livres (912,125,000 fr.).

Et dans les six premiers mois de 1847, de 25,700,000 livres (642,500,000 fr.).

De plus, les lignes concédées, si on les laissait exécuter, réclameraient :

Pour l’année 1848, 78 millions de livres (1 milliard 950 millions).
Pour l’année 1849, 47 millions de livres (1 milliard 175 millions).

Et enfin, pour 1850, une dernière bagatelle de 10 millions de livres ou 250 millions de francs.

Voilà le bilan des chemins de fer anglais ! Comment s’étonner qu’il devienne nécessaire de serrer les freins et d’arrêter cette locomotive dans sa course aveugle et furibonde ? Le bill présenté par le chancelier de l’échiquier aura pour effet de rendre à la circulation et au commerce une partie des énormes capitaux qu’auraient encore absorbés ces gigantesques entreprises, et il y a dans cette industrieuse Angleterre tant de ressources, que vraisemblablement, si des fléaux comme la famine ou comme l’Irlande ne viennent pas de nouveau y porter le trouble, elle se sera bientôt relevée de la périlleuse tempête du mois dernier.