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temps que lord Palmerston se réunissait à l’offre de la médiation, son représentant en Suisse, M. Peel, eût envoyé son chapelain au général Dufour pour l’engager à ne pas perdre de temps et en finir le plus vite possible avec le Sonderbund, avant qu’on eût pu l’inviter à s’arrêter.

Quoi qu’il en soit, la victoire de l’armée fédérale, victoire prévue, ne change rien au fond de la question. Le principe qui servait de base à la confédération, celui de la souveraineté cantonale, vit toujours sous les ruines. Si la médiation offerte était acceptée, ce qu’il faut espérer, il est probable qu’il serait fait une distinction entre les questions religieuses et les questions politiques ; que, tandis que les premières seraient soumises à un auguste arbitrage auquel en appartient naturellement la solution, les autres seraient discutées et décidées dans une conférence à laquelle seraient appelés des représentans de la confédération. Si l’offre de médiation n’était pas acceptée, cette détermination peu probable de la majorité fédérale ouvrirait toute une nouvelle série d’éventualités qu’il serait prématuré de discuter. Il paraît que l’Angleterre, dans aucun cas, ne prendrait part à une intervention armée ; mais nous croyons qu’une fois en dehors des termes de la convention actuelle, chaque puissance se sera réservé sa pleine et entière liberté.

L’invitation de suspendre les hostilités sera, comme nous le disions, arrivée un peu tard. Elle aura trouvé des faits accomplis. La chute de Fribourg avait commencé la défaite de la ligue. C’était un événement prévu, mais il est arrivé plus vite qu’on ne l’aurait pensé. Fribourg s’est rendu sans combat ; c’est assez triste. Sans doute, quand on est à Paris, au coin d’un feu pacifique, loin du théâtre de la guerre dont on ne voit que les bulletins, on doit éprouver un certain scrupule à juger sévèrement ceux qui sont dans le danger. Ce qu’il faut regretter, ce n’est pas que les Fribourgeois aient cru devoir renoncer à une résistance inutile, c’est seulement qu’ils eussent annoncé un peu trop haut qu’ils se feraient ensevelir sous leurs murailles. Pourquoi, hélas ! avoir abîmé ces beaux ponts, ornemens de la nature et chefs-d’œuvre de l’art ? Pourquoi avoir coupé les routes, abattu les bois, converti les maisons en casernes, renvoyé les enfans, battu la générale et sonné le tocsin ? Pourquoi avoir répété les sermens des Suisses comme dans Guillaume Tell ? Pourquoi avoir ému d’une pitié et d’une admiration prématurées l’Europe entière, qui croyait qu’elle allait revoir le siège de Jérusalem, ou celui de Sagonte, ou le désespoir terrible et suprême du défenseur de Moscou ? Il paraît que ce genre d’histoire est désormais de la fable.

Pendant quelques jours, tous les regards ont été fixés sur cette petite ville. Il n’y avait que la ville même qui dût tenir ; le reste du canton était abandonné d’avance. Dans la campagne, le landsturm livrait à peine quelques escarmouches ; il se repliait à mesure, et rentrait en ville comme les troupeaux poursuivis par les loups rentrent dans le parc. Trente mille hommes et cent canons s’avançaient en cercle, emportant avec eux comme otages les femmes et les enfans. On suivait avec anxiété les progrès de cette étreinte redoutable qui se resserrait d’heure en heure autour de la petite ville sacrifiée ; on plaignait, on admirait les victimes. Tout à coup on a appris que des négociations étaient ouvertes ; la suite était facile à prévoir. Fribourg a donc capitulé. Sans doute, cela vaut beaucoup mieux pour Fribourg. Le gouvernement du canton, en abdiquant ses pouvoirs, a adressé à ses concitoyens une proclamation dont on ne peut qu’approuver la sagesse. Résister, c’était sacrifier des vies précieuses, c’était s’exposer