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même, tout y est éclatant, mais il y manque ce charme, cette vie idéale que possèdent certaines musiques en dehors de tout le reste, et qui retient et captive encore lorsque la curiosité s’affaiblit. Les triomphes de M. Verdi dans d’autres pays et sur d’autres théâtres n’en seront ni compromis, ni consacrés. Dans cette série de talens étrangers auxquels notre Opéra a offert une hospitalité toujours bienveillante, souvent heureuse, l’apparition de M. Verdi ne comptera ni comme un échec, ni comme une date. En mettant hors de cause des noms qu’offenserait même le parallèle, on peut dire que l’auteur de Jérusalem tiendra, au second rang, une place fort honorable, un peu au-dessous de Donizetti, et fort au-dessus de M. Balfe.

En voyant tant de compositeurs italiens, allemands, anglais même, se succéder à l’Opéra, nous nous demandons si c’est bien sérieusement qu’on a allégué la nécessité d’offrir un débouché aux compositeurs français, comme motif suffisant pour ouvrir un troisième théâtre lyrique. Comment se fait-il que nous soyons à la fois assez pauvres pour que la plupart de nos grands opéras soient signés de noms étrangers, et assez riches pour qu’embarrassés de nos trésors, nous ayons dû leur chercher un nouveau gîte ? Il y aurait là toute une question administrative et statistique qui n’est pas de notre compétence ; nous nous bornerons à dire que, parmi les partitions qui vont être exécutées au troisième théâtre lyrique, celles qui seront mauvaises auraient aussi bien fait de rester inconnues, et celles qui auront du mérite ne seraient pas inutiles à l’Opéra-Comique, où l’on joue à peine, par an, deux ou trois opéras de quelque importance. Au lieu d’un théâtre qui pourrait prospérer, on en aura deux qui souffriront ; c’est, hélas ! le résultat inévitable de ce système qui multiplie au lieu de protéger, qui morcelle au lieu d’enrichir.

Le second motif que l’on allègue est plus spécieux ; on a voulu, dit-on, en établissant un théâtre lyrique dans un quartier populeux, initier le peuple à la musique, substituer des jouissances nobles, pures, inoffensives du moins, aux malsaines et fébriles émotions du mélodrame. S’il en est ainsi, ce n’est pas nous qui nous plaindrons. Bien que l’éducation par le théâtre soit peut-être un peu illusoire, mieux vaut de la musique même médiocre, que cette poétique du boulevard qui ne fait triompher la vertu qu’après avoir fait parader le vice. L’ouvrier, l’homme du peuple qui rentrera chez lui, emportant un fredon de M. Adam ou un refrain de M. Maillard, sera moins agité, moins exposé aux périls de l’imitation, que lorsqu’il vient d’assister à une de ces scènes sanglantes qui sont de l’essence du mélodrame ; mais y aura-t-il trouvé le même plaisir ? aura-t-il la même envie d’y retourner ? et oubliera-t-il peu à peu l’un des deux chemins pour ne se souvenir que de l’autre ? Il est permis d’en douter. Quels que soient la vraisemblance et le pathétique de Gastibelza, quelle que soit l’originale gaieté d’Aline, c’est là, ce nous semble, une chère un peu maigre pour le public du faubourg du Temple ; il est à craindre qu’après avoir applaudi une fois, pour l’acquit de sa conscience et l’honneur de son dilettantisme, la reine de Golconde et le fou de Tolède, il ne retourne à M. Paul Féval ou à M. Bouchardy.

La musique de Gaslibelza, première révélation de ces jeunes talens arrêtés dans leur essor par le monopole lyrique, nous semble, par ses qualités autant que par ses défauts, une œuvre peu juvénile. L’instrumentation y est sage et correcte ; l’auteur tire bon parti de ses idées quand il en a, et il en fait des airs,