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des airs de coquetterie et de futilité mondaines, tant de loyauté et de droiture. Détailler les demi-teintes d’un pareil rôle sans se tromper une seule fois, c’est rendre un vrai service à l’art, et Mme Allan ne pouvait mieux inaugurer son retour qu’en donnant la vie du théâtre à une création qui n’existait encore que pour les lecteurs d’élite.

Maintenant, devons-nous nous borner à constater cette représentation d’Un Caprice comme le plaisir et le succès d’une soirée ? Deux enseignemens nous semblent en ressortir, l’un général, l’autre personnel. Puisqu’il est prouvé que cet esprit et cette poésie peuvent réussir au théâtre, et qu’en prenant une forme et un visage, ils ne perdent rien de leur séduction, pourquoi en resterait-on à cette heureuse tentative ? Trop souvent notre première scène a dû se contenter de pièces, estimables sans doute, mais qui ne répondaient ni aux instincts de la foule ni au goût des lettrés, et qui, n’offrant d’autres qualités que les défauts qu’elles n’avaient pas, s’éloignaient également des libres ébats du vaudeville et des vigoureuses allures de la comédie. Installer enfin les poètes au théâtre, telle doit être aujourd’hui l’ambition de tous les amis des lettres ; se rapprocher du public, le familiariser avec les choses élevées, et, pour faciliter ce rapprochement, mêler à leurs inventions un peu plus de l’élément dramatique, sacrifier dans leurs fantaisies cette portion trop éthérée qui passe, pour ainsi dire, au-dessus du spectateur au lieu de l’atteindre au cœur ou au front, telle est la tâche des poètes, et nul mieux que M. de Musset ne serait capable d’indiquer la mesure et de tracer la route. Le succès de sa comédie ne sera-t-il pas pour lui un encouragement et comme un gracieux reproche ? M. de Musset se trouve aujourd’hui, vis-à-vis du public, dans des conditions excellentes. Il y a dix ans, adopté avec délices par une jeunesse qui le proclamait son poète et qui retrouvait dans ses ouvrages l’idéal de ses rêveries, de ses amours et de ses ivresses, l’auteur de Rolla n’était encore accueilli par les masses qu’avec une certaine méfiance. Aujourd’hui ses écrits et son nom ont pénétré, et l’on peut dire que tous les esprits sont prêts à le goûter comme toutes les mains à l’applaudir. Est-ce donc ce moment précieux, fugitif souvent dans la vie des artistes, que M. de Musset doit choisir pour se condamner au silence et dédaigner les avances, les coquetteries de la gloire ? Le jour où M. de Musset reprendra résolûment la plume, où nous verrons son nom briller sur l’affiche de la Comédie-Française, sera pour nous tous une fête ; car il occupe dans nos affections littéraires cette place unique, exclusive, la place de l’enfant préféré, qui n’est pas toujours le plus sage, mais à qui l’on pardonne tout en faveur de son sourire et de sa grace.

Si nous nous plaignons que la poésie de M. de Musset ne fait pas assez de bruit, la musique de M. Verdi mérite le reproche contraire. Nous savons bien que l’ancienne école italienne abusait du chant proprement dit, qu’un joli air, une douce cantilène venaient trop souvent désorienter l’oreille au moment où l’on aurait voulu fondre l’émotion musicale avec l’émotion dramatique ; mais, parce que ces mélodieux oiseaux d’Italie aimaient trop à mêler leur gazouillement aux incidens du drame, est-ce une raison de vider la volière ?

Ce titre de Jérusalem annonce des intentions grandioses ; je ne lui ferai qu’un reproche, c’est de ne pas être justifié par le poème. Excepté un décor final, qui nous montre une vue assez mesquine de Jérusalem, à peu près comme le récit