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grandir la Prusse par l’épée ! » Et ce royaume né de la force, enfanté dans la bataille, il le comparait à un camp. L’esprit rempli de ces images guerrières, il se demandait comment pourrait durer un si violent assemblage, s’il n’y avait, pour en retenir les pièces mal enchevêtrées, l’unique volonté d’un roi qui ordonnât comme ordonne un général d’armée. Et, d’autre part, le même prince qui proclame avec tant de solennité l’incohérence de son empire, qui désespère de le conserver s’il ne l’étreint sous les liens du despotisme, le dominateur imposé par le droit du sabre à la Pologne, au Rhin, à la Silésie, se plaît et se joue dans des doctrines qui exagèrent non pas l’indépendance, mais l’individualisme, mais l’isolement des nationalités provinciales. Quand l’illustre songeur de Potsdam n’est pas préoccupé du besoin de se montrer en maître à des sujets récalcitrans ; quand, au lieu d’appuyer la main sur l’épée du grand Frédéric, il penche la tête sur les livres ; quand il converse avec les savantes pensées dont s’est nourrie sa jeunesse, allant de Schelling à Savigny et de Savigny à De Maistre, il se dit alors que l’influence du climat et celle de la race découlent assurément de Dieu au même titre et avec le même privilège que l’auréole de la royauté. Pénétré d’une vénération religieuse pour ces lois fatales de la nature et de l’histoire qui sont à ses yeux les modes sacrés sous lesquels la Providence s’est assujetti l’homme, il regarde comme un crime de les déranger. Ce n’est pas seulement le caractère particulier d’une province, c’est la patente d’une ville, c’est la coutume d’un village, c’est la tradition d’une paroisse qui lui deviennent respectables et chères. Il a peut-être écouté tout à l’heure, il a pris sur lui d’approuver une circulaire ministérielle qui brisait les écoles polonaises de Posen : rentré dans la jouissance de lui-même, débarrassé de l’obsession prosaïque des conseillers intimes, libre de philosopher, il voudrait voir maintenant ses vassaux polonais se presser au pied de son trône en costume national pour lui prêter dans leur langue le serment et l’hommage que les électeurs de Brandebourg prêtaient naguère aux rois de Pologne. La bureaucratie prussienne ne s’accommode pas, heureusement pour la Prusse, de cette souveraineté de comédie ; mais, si tendu que soit le réseau qu’elle a jeté sur la monarchie, elle n’est pas près encore d’y assouplir tant d’élémens trop divers.

Voulons-nous parcourir une à une toutes les régions distinctes qui, de la Moselle et du Rhin à la Vistule et au Niémen, portent ces couleurs blanche et noire dont on rêve quelquefois de faire un jour les couleurs allemandes ? En attendant que ce pavillon de l’avenir flotte sur toute la famille germanique, il couvre assez mal les dissidences des peuples déjà rassemblés sous son ombre. Ce serait un long travail d’étudier les huit provinces prussiennes dans le détail de leur organisation, et il n’est pas besoin de descendre si avant pour sentir par où surtout elles différent.