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doña Juana, et la Biscaïe était entrée dans les domaines de la couronne. Comme s’il eût à cœur de prendre en tout le contre-pied de la politique suivie par son ministre, don Pèdre présida lui-même au mariage de l’héritière de Lara et lui restitua tous ses apanages. Aussitôt après ses noces, qui furent célébrées en grande pompe à Ségovie, don Tello se rendit en Biscaïe pour se mettre en possession de la riche dot que lui apportait sa femme. C’était un petit royaume. Quant au roi, quittant la Castille, il prit avec toute sa cour le chemin de l’Andalousie, où il comptait passer le reste de l’automne et l’hiver. Mais d’abord, irrité de la part que les deux reines avaient prise à l’évasion d’Alvar de Castro, il sépara Blanche de Bourbon de la reine Marie, auprès de laquelle elle avait toujours demeuré depuis son arrivée en Castille. La jeune princesse, déjà traitée en prisonnière, quoi qu’on lui eût conservé une petite cour et une maison royale, fut conduite au château d’Arévalo et confiée à la surveillance de l’évêque de Ségovie. La reine-mère reçut la permission, peut-être l’ordre, d’aller résider en Portugal, auprès du roi son père[1]. Ces mesures rigoureuses étaient accompagnées de nouvelles persécutions dirigées contre les amis d’Alburquerque. Le roi ôta la charge de chambellan à Gutier Fernandez de Tolède, pour en revêtir Diego de Padilla. Tous les parens de Gutier Fernandez partagèrent sa disgrace, et, destitués de leurs offices, virent partager leurs dépouilles entre la famille de la favorite et les cliens des bâtards, maintenant comblés d’honneurs comme au temps du feu roi. Perez Ponce, maître d’Alcantara, oncle de doña Léonor de Guzman, avait encouru le séquestre de ses châteaux d’Andalousie pour avoir le premier pris les armes à l’avènement de don Pèdre. On lui rendit ses forteresses, et le roi lui-même l’en remit solennellement en possession[2]. En un mot, il semblait prendre à tâche d’effacer tous les souvenirs de l’administration d’Alburquerque ; hommes et choses étaient impitoyablement changés.


V.

C’est par de tels actes d’autorité que don Alphonse avait préludé à son glorieux règne. Don Pèdre prétendait l’imiter en tout. Accusant son ancien ministre de partialité et d’injustice, il annonçait, avec un peu trop d’assurance peut-être, que, maintenant qu’il régnait seul, ni le rang ni la faveur ne trouveraient accès auprès de lui. La mieux tenue des promesses faites aux cortès de Valladolid fut celle d’écouter toutes les plaintes portées au pied de son trône[3]. Affable avec les petits, souvent

  1. Ayala, p. 113.
  2. Cfr. Ayala, p. 114. — Rades, Cron. d’Alcantara, p. 27.
  3. On montre dans la cour de l’Alcazar à Séville, près de la porte dite des Bannières, les restes d’un tribunal en plein air où don Pèdre prenait place pour juger les procès.