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dépêché au roi son majordome Rui Diaz Cabeza de Vaca, porteur de ce message altier : « Sire, dit-il, don Juan Alonso vous baise les mains et se recommande à votre merci. Il serait lui-même en ce moment en votre présence, s’il n’eût appris que de méchans conseillers l’ont calomnié auprès de vous. Vous savez, sire, tout ce que don Juan Alonso a fait pour votre service et celui de la reine votre mère. Il a été votre chancelier depuis votre naissance. Il vous a toujours loyalement servi comme il avait servi le feu roi votre père. Pour vous il s’est exposé à de grands périls, alors que doña Léonor de Guzman et sa faction avaient tout pouvoir dans le royaume. Mon maître ignore encore les crimes qu’on lui impute, faites-les-lui connaître, et aussitôt il s’en purgera. Cependant, si quelque chevalier doute de son honneur et de sa loyauté, moi, son vassal, me voici prêt à le défendre par mon corps et les armes à la main. » Don Pèdre écouta froidement la fière harangue de Cabeza de Vaca et le défi qui la terminait, puis il répondit en peu de mots que, si Alburquerque ajoutait foi à de vaines rumeurs, il était libre de se retirer où bon lui semblerait ; que s’il était sage, il s’en remît à sa royale merci[1]. Aussitôt il congédia le messager, cachant mal sa joie de se voir délivré d’un censeur incommode. Peut-être, honteux de destituer le fidèle conseiller de son père, voyait-il avec un vif plaisir qu’Alburquerque eût pris de lui-même le parti de la retraite. Une fois qu’il le sut éloigné, il ne garda plus de ménagemens, et, retirant aux titulaires tous les offices donnés pendant la faveur du ministre, il les distribua aux partisans des Padilla. La réaction fut complète, et, pour encourir la disgrace du roi, il suffisait maintenant d’avoir été distingué par Alburquerque.

Ce dernier cependant, la rage dans le cœur, reprenait, avec son escorte bien réduite, le chemin de Valladolid, après s’être arrêté quelques momens à Ferradon pour se consulter avec son ami le maître de Calatrava. Tous les deux tombèrent d’accord que, pour le présent, la résistance ouverte était impossible ; qu’il fallait attendre patiemment un retour de fortune, vivre loin de la cour et se tenir sur ses gardes, l’un sur la frontière de Portugal, au milieu de ses vastes domaines, l’autre dans un des châteaux de son ordre, entouré de ses chevaliers. Avant de gagner son fort, Alburquerque voulut prendre congé des trois reines et leur donner ses derniers conseils, puis, rassemblant les trésors qu’il faisait garder dans ses châteaux de Castille, il alla s’enfermer dans la forteresse de Carvajales, assignée pour rendez-vous à ses affidés. Outre les gens de sa maison qui l’accompagnaient toujours, son escorte s’était grossie, pendant sa marche, d’un assez grand nombre de gentilshommes résolus de s’attacher à sa fortune. Tous, croyant la guerre

  1. Ayala, p ; 98 et suiv.