Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un cabinet. « Sire, dit la reine-mère, on nous annonce que vous voulez nous quitter pour retourner auprès de doña Maria de Padilla. Nous venons vous conjurer de n’en rien faire, et de considérer quel affront ce serait pour le roi de France, qui vient de vous envoyer sa nièce avec tant d’honneurs. Pourriez-vous ainsi la quitter, au moment où vous venez de vous unir en face des saints autels, en présence de tous les grands de votre royaume ? Que penseraient tous nos riches-hommes, venus de si loin pour vous faire honneur, si vous vous éloigniez de la sorte, sans leur rendre grace, sans leur adresser une parole de remercîment ?… » Le roi l’interrompit en disant qu’il s’étonnait fort qu’elles ajoutassent foi à des bruits frivoles, et il se hâta de les congédier, après leur avoir répété qu’il ne songeait pas à quitter Valladolid. Une heure après, il demanda des mules, annonçant qu’il allait rendre visite à sa mère ; mais, en effet, il sortit de la ville accompagné seulement du frère de sa maîtresse, Diego de Padilla, et de deux autres gentilshommes de ses plus privés. Des relais se trouvaient préparés de distance en distance, et il alla coucher à seize grandes lieues de Valladolid. Le lendemain, il trouvait à la Puebla de Montalvan doña Maria venue à sa rencontre[1].

On prévoyait cet éclat ; cependant grande fut la surprise à Valladolid, mais plutôt feinte que réelle de la part des deux bâtards, unis déjà aux Padilla par une haine commune contre Alburquerque. Deux jours, après le départ du roi, don Henri et don Tello se rendirent à Montalvan, suivis bientôt par les infans d’Aragon et par la plupart des jeunes seigneurs, parmi lesquels on remarquait le gendre de Coronel, don Juan de la Cerda, rappelé depuis peu de son exil[2]. La presse était grande pour se tourner vers le soleil levant. Un petit nombre de riches-hommes seulement annonçaient que ce scandale amènerait de grands malheurs, et, au lieu de suivre la cour, allaient s’enfermer dans leurs châteaux. Ainsi l’exigeait la prudence quand des troubles civils étaient à craindre. En même temps la connivence des bâtards devenait évidente, car, par l’ordre du roi, leurs otages étaient mis en liberté. Le parti de Lara relevait la tête, annonçant avec ivresse que l’odieuse domination d’Alburquerque avait cessé.


IV

Après le premier moment de stupeur, Alburquerque se présenta devant les trois reines désolées, accompagné du maître de Calatrava don Juan Nuñez de Prado, son intime ami. Non moins irrité qu’elles,

  1. Ayala, p. 95.
  2. Le roi de Portugal avait obtenu sa grace de don Pèdre, et don Juan était revenu à la cour de Castille avec Alburquerque, en apparence réconcilié avec lui. Ayala, p. 85.