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L’aversion, comme la sympathie, a ses mystères inexplicables, et pourtant de graves auteurs, anciens et modernes, ont voulu trouver un motif réel et plausible à l’éloignement de don Pèdre pour sa femme. Les derniers n’ayant pas, comme leurs devanciers, la ressource commode de la magie, ne se sont pas fait scrupule de ternir par une odieuse calomnie le caractère de la jeune reine, que tous ses contemporains ont respecté. On a prétendu que don Fadrique était un des ambassadeurs chargés de demander au roi de France la main de sa nièce, et que, pendant le voyage de Paris à Valladolid, Blanche aurait succombé aux séductions de son beau-frère[1]. Ainsi ce serait à la jalousie qu’il faudrait attribuer la répugnance du roi pour son épouse et sa haine contre don Fadrique, dont j’aurai bientôt à raconter les effets. Je me hâte de dire que toutes ces suppositions sont absolument fausses. Don Fadrique ne fit point partie de l’ambassade castillanne et ne quitta pas la Péninsule à l’époque des négociations entre la France et la cour de Castille. Des chartes authentiques attestent son séjour dans le midi de l’Espagne pendant les premiers mois de l’année 1353, et, à l’époque du mariage du roi, il n’avait pas encore vu sa belle-soeur[2]. Ajoutez que s’il eût existé quelque motif pour rompre ce mariage, quelque grief réel ou seulement un prétexte qu’on pût alléguer contre Blanche, il est à croire que don Pèdre eût saisi avec empressement l’occasion offerte, alors que, débarrassé de la tutelle de son ministre, et subjugué par l’amour de doña Maria, il ne cherchait qu’à faire preuve de son autorité et de sa force.

Personne à Valladolid n’ignorait les sentimens du roi, et le bruit s’était répandu qu’il allait prochainement en partir pour retourner auprès de sa maîtresse. Le 5 juin, c’est-à-dire deux jours seulement après la célébration de son mariage, don Pèdre étant seul à dîner[3] dans son palais, sa mère et sa tante entrèrent tout en larmes et demandèrent à lui parler en particulier. Aussitôt le roi quitta la table et les conduisit dans

  1. V. Gratia Dei, dans le Semanario erudito de Valladares, tome 28, p. 237 ; le comte de la Roca, et rey don Pedro defendido, p. 15, verso, 44. Le comte ajoute agréablement dans son style cavalier : « Si l’infant don Fadrique fut un an et plus, comme on le prétend, à conduire la reine Blanche de France à Valladolid, cela prouve que les chemins étaient bien mauvais ou qu’ils ne prirent pas le meilleur. »
  2. Le contrat de mariage de Blanche existe aux archives du royaume, daté de Paris, 2 juillet 1352. Il est signé par les deux ambassadeurs castillans, don Juan Sanchez de las Roelas, jadis évêque de Séville, évêque élu de Burgos, et par don Alvar Garcia d’Albornoz. Carton J. 603, pièce 55. — Suivant toute apparence, don Fadrique ne quitta pas Llerena avant le mariage du roi, auquel d’ailleurs il n’assista point. Voir dans Ayala, p. 112, la note de M. Llaguno sur ce sujet. Consulter également l’Apologia del rey don Pedro, par don Josef Ledo del Pozo, p. 189.
  3. On dînait alors à neuf ou dix heures du matin.