Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/926

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apparemment à l’usurpation d’un insigne qu’à une rébellion à main armée[1].

En dépit de l’impatience d’Alburquerque, les pourparlers continuaient. Il avait beau représenter qu’il était déjà l’heure de vêpres, et que le comte n’attendait que la nuit pour s’échapper ; don Pèdre, contenant ses soldats, attendait avec le plus grand calme l’issue des négociations. Enfin, vers le déclin du jour, on vit s’avancer entre les deux armées le comte don Henri, don Tello et une trentaine de gentilshommes, tous à pied et sans armes. Ils venaient se remettre à la merci du roi. Don Pèdre demeura à cheval avec sa suite, et ce fut au milieu d’une haie d’hommes d’armes que les deux bâtards s’approchèrent jusqu’à son étrier. Don Henri d’abord, puis don Tello, lui baisèrent le pied et la main droite[2]. Alors le roi, sautant à terre, les conduisit dans un petit ermitage, où il s’enferma quelque temps avec eux et plusieurs seigneurs des deux partis. Là le comte, en son nom et au nom des chevaliers qui suivaient sa bannière, protesta de sa soumission, excusant sa conduite passée sur la crainte légitime que lui inspiraient des ennemis puissans qui, dit-il, le calomniaient auprès de son seigneur. « Comte, mon frère, répondit le roi, je suis content de vous voir aujourd’hui vous confier à ma foi, ainsi que notre frère don Tello. Soyez assuré que vous recevrez de moi telles faveurs, que vous vous en tiendrez pour satisfait. » Les deux bâtards promirent alors au roi de lui livrer toutes leurs forteresses, et sur-le-champ ils remirent entre les mains de son alguacil mayor plusieurs otages importans, entre autres le jeune fils de Garci Laso[3]. La présence de cet enfant dans la troupe du comte de Trastamare prouvait assez que son expédition avait été concertée d’avance avec don Pèdre, et devait avoir une issue pacifique. Le peuple accueillit avec joie la nouvelle de cette réconciliation. Alburquerque lui seul s’en montra chagrin, voyant avec raison dans ce dénoûment une preuve du crédit des Padilla et un échec humiliant pour son autorité. A son dépit se joignait la honte d’avoir été joué, lui vieux politique, par des enfans qu’il avait cru dominer.


III.

Le mariage de don Pèdre avec la princesse de France fut célébré le 3 juin, presque immédiatement après l’entrevue de Cigales. Autant le

  1. Ayala, p. 91
  2. Je suis le texte d’une des copies de la chronique d’Ayala, qu’on appelle très improprement l’Abrégée. Si dans les copies subséquentes on a supprimé les détails que je viens de rapporter, c’est sans doute parce qu’on les a crus humilians pour le prince qui avait fini par s’emparer du trône de Castille. Cfr. les deux versions. Ayala p. 92, et la note, de M. Llaguno.
  3. Ayala, p. 93.