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des cérémonies religieuses, qui toutefois auraient été célébrées dans le plus profond mystère[1]. Si ce mariage eut lieu en effet, toute l’Espagne l’ignora d’abord, et doña Maria ne passa long-temps que pour la maîtresse du roi. Son oncle, Juan Fernandez de Hinestrosa, la conduisit lui-même à San Fagund où s’arrêta don Pèdre à son retour des Asturies, et la mit, pour ainsi dire, entre ses bras[2]. Cette complaisance fut royalement récompensée. Hinestrosa et les autres parens de la favorite, sortant tout à coup de leur obscurité, parurent à la cour et commencèrent à se mêler aux conseils du jeune prince.

Aussitôt après la prise d’Aguilar, don Pèdre, séparé de sa maîtresse pendant le siège, courut la retrouver à Cordoue. Elle venait de lui donner une fille, dont la naissance fut célébrée par des fêtes magnifiques. La plus grande partie des domaines d’Alonso Coronel servit d’apanage à l’enfant ; le reste fut distribué entre les officiers de la maison du roi. On remarqua que don Juan d’Alburquerque n’eut cette fois aucune part aux dépouilles de son ennemi. Tout en conservant les apparences, le roi commençait à le traiter avec quelque froideur. Sa jeune maîtresse l’excitait en secret à se débarrasser d’une tutelle importune et à prendre en main les rênes du gouvernement. Flatté par les louanges d’une femme chérie, encouragé par les conseils des Padilla, travaillé enfin par un vague besoin de montrer son énergie et son caractère, il flottait encore dans l’irrésolution, retenu par l’habitude de se laisser diriger, par son ignorance des affaires, enfin par le respect ou même l’espèce de crainte que lui inspirait un vieux serviteur de son père. N’osant faire un coup d’autorité, le roi conspirait contre son ministre. Aidé par les Padilla, il s’était engagé dans une négociation, conduite avec une dissimulation profonde, qui ne tendait à rien moins qu’à renverser tous les plans politiques d’Alburquerque. Il s’agissait d’une complète et franche réconciliation avec ses frères, don Henri et don Tello. Avec leur assistance et celle du parti de Lara, que le comte de Trastamare devait entraîner à sa suite, don Pèdre ne doutait pas qu’il ne pût commander en maître et plier tout à ses volontés. C’était une conjuration d’écoliers contre leur pédagogue. Il y a lieu de croire que le roi en conçut lui-même le projet, persuadé, dans son inexpérience, qu’il ne pouvait trouver d’amis plus dévoués que ses frères ni de conseillers plus désintéressés que des jeunes gens de son âge. On croira qu’un semblable complot ne se déroba pas long-temps à la perspicacité du vieux ministre ; il n’en fut rien cependant. Le secret fut admirablement gardé ; tout réussit à souhait à ces novices conspirateurs.

  1. Cette question sera plus tard examinée. Voir § XVI, I.
  2. Ayala, p. 77 et 86. — Ce fut probablement alors que Hinestrosa reçut du roi la charge d’alcade de los fidalgos, titre qu’il prend dans le traité d’Atienza, dont il fut un des signataires pour la Castille. Arch. gen. de Ar., parchemin n° 1737.